Ulver – Teachings In Silence
Ulver
Jester Records 2002)
Part. 1 Silence Teaches You How to Sing
Cliquetis d’une machine en marche. Abstraction, formes et lumières en des néons fantomatiques. Le souffle, magnétique d’une radio dont on cherche désespérément la bonne fréquence. Celle-là ? Non. Celle-ci ? Le doigt reste en suspens, bloqué sur la molette. Parasites outranciers ou alors spectre s’immisçant dans la vie électrique. Long, cela parait si long. La molette tourne. Une fréquence attire et bloque et celle-ci se bloque d’elle-même. Piano mélancolique, vrombissement, gargouillis électronique, regard perdu dans le vague. Répétition finement hasardeuse, puis revient la recherche, éperdue, contact électrique n’aboutissant à aucun dialogue. Les sifflements sont insistants, perdurent. Et pourtant, la molette tourne et retourne sur elle-même. Retrouver cette station fantôme n’existant que sur mon bon vouloir. Ah ! Quelque chose approche. Je laisse venir. Vague souvenir de mélodie entrecoupée d’écornes scintillantes ou froides. Une bande semble se rembobiner instinctivement. Une voix répète, inlassablement, une litanie sans mot. Un écho magnétique semble lui répondre alors que ses cliquetis engloutissent cette présence. Disparue. Evaporée. Non, elle revient. Avec elle viennent des percussions minimalistes. Jamais je n’aurai un son clair. Ces sons. Ah ! Ces sons ! À tout foutre en l’air, et pourtant… Pourtant, ils me captivent. Finalement, ce sont eux qui me guident, faisant retentir cette voix mourir dans un brouillard d’ondes. Pendant que cette bande son se nourrit du temps, je regarde par la fenêtre. La radio semble répéter l’environnement extérieur. Le bus qui rebondit sur une plaque de chantier. La radio l’a deviné. Elle me laisse entrevoir ce que je ne peux entendre. Langage. Dialogue. Quelque-chose qui se noue, immatériel, désespéré, sans filtre, brut, travaillé. Inquiétude. L’inquiétude. Ce qui arrivera et ce qui n’arrivera jamais. J’imagine que quelqu’un marche. Raclements. Sillons défectueux. Raclements. Souffle. Chuintements… Frémissements… Interruption brutale. S’extirpe piano et voix. Les parasites se sont, le temps d’un bref instant, fâchés de mon engourdissement. Je ne peux m’en détacher. J’attends… J’attends… Vient une chose, une seule… Silence.
Part. 2 Silencing The Singing
Darling ? Darling ?? Je ne te vois pas. Je ne t’entends pas… Où es-tu ? Pourquoi tu ne dis plus rien ? Faut pas que tu me fasses la gueule, tu sais… J’aime bien ces promenades nocturnes, je poursuis ces grosses lucioles à chaque coin de rue. Je longe ces poubelles qui ne seront jamais ramassées. Ce que j’aime, ce sont ces grésillements. J’ai l’impression d’être le petit poucet de la nuit. Je retrouve mon chemin grâce à ça. C’est con, hein ? Suivre des lampadaires aux ampoules défectueuses, ça m’amuse, ça me permet de m’évader. Quand j’en suis un, mon imaginaire me projette dans des formes sorties d’un tableau de Pollock, des ondes électriques astrales. Beau hein ? Darling ? Tu veux toujours pas me répondre ? T’es méchante tu sais… Ces promenades, elle me permettent de ne plus penser à toi, à lui, à elle qui me prenez la tête, à vous plaindre et geindre sans arrêt. Jamais vous ne prenez le temps de ressentir ces particules de sensations, fugaces et mélancoliques. Pourquoi ? Une radio me donne plus d’émotions que toi, Darling. Tu saisis ? C’est comme entamer un dialogue avec des morts, tu sais ce film tout pourri « La Voix des Morts ». Haha… C’était bien naze… Sauf que là, ça me parle. C’est pas pour faire peur, ça caresse ton visage, la pluie en deviendrait sensuelle, charnelle. C’est un apprentissage, je ne le dis pas, mais une fois le thème compris, le croquis esquissé, ces grésillements deviennent des paraboles, des mélodies d’outre-tombe, un axe de rotation qui te fait douter de ce que tu es et de l’emplacement où tu crois être et connaître. C’est ça Darling, tout simplement. Tourne la tête vers moi, tu seras gentille, je t’assure. Ce qui est drôle, c’est que maintenant je me rends compte que tu ne peux pas être sauvée… Ballot, hein ? Oh, tu peux me jeter ce regard vide, rien n’y changera. Trop tard de toute façon… Darling ? Je me pose une question, une seule, maintenant que je suis rentré. Darling, pourquoi je t’ai tuée ?
Jérémy Urbain (9/10)