Tunng – Tunng Presents… DEAD CLUB
Fulltime Hobby
2020
Thierry Folcher
Tunng – Tunng Presents… DEAD CLUB
J’ai longtemps hésité avant de vous parler de cet album. Pour la simple raison qu’il traite de la mort, la vraie, celle qui nous concerne tous. Alors, dans le contexte actuel, je pensais qu’il n’était pas raisonnable d’en rajouter une couche. Eh bien, je me trompais lourdement car il n’y avait pas de meilleur moment pour en causer. Ce foutu virus nous a fait prendre conscience de notre vulnérabilité et a permis à certains de sortir d’un angélisme à deux balles qui met aux oubliettes les moments les moins funky de la vie. Nécessité absolue d’être heureux, consumérisme à outrance, obsession maladive de l’apparence, voilà quelques exemples de comportements où la mort n’est pas la bienvenue. Belle revanche pourrait-on dire même si cette révélation a du passer par une pandémie mondiale. Ce qui m’a fait changer d’avis aussi, c’est que la musique de Tunng est très éloignée des illustrations qu’on a l’habitude d’associer à ce genre d’événement. L’ambiance de cet album est d’une légèreté et d’une douceur incroyables. Dans un premier temps, vous allez succomber (ce n’est pas volontaire) aux jolies mélodies et aux arrangements inventifs du sextet londonien et puis, si vous le désirez, vous pourrez entrer dans le vif du sujet avec une approche ouverte et décomplexée. A l’origine de Tunng Presents…DEAD CLUB se trouve le roman de Max Porter intitulé La Douleur Porte Un Costume De Plumes et qui est tombé entre les mains d’un Sam Genders en manque d’inspiration. Un tour de table unanime et tout le monde décide de faire sauter le plus grand tabou de notre société occidentale. La forme de ce projet est particulièrement originale. Il s’agit d’un concept album, fabriqué autour de podcasts et de conversations sur la mort et le deuil. Ne fuyez pas, il n’y a rien de tragique, bien au contraire. La grande volonté des musiciens de Tunng est de nous faire prendre conscience de la joie et de l’émerveillement de vivre. Et même, pour nous appâter, ils précisent que les thèmes sont abordés sous des angles à la fois familiers et inattendus.
Si vous êtes curieux de savoir comment l’album s’est fabriqué, je vous conseille de visiter le site du groupe et de lire leurs explications. Une présentation très détaillée qui, grâce à la traduction automatique (pas géniale mais suffisante), parlera au plus grand nombre et éclairera, à coup sûr, leur démarche. Mais j’insiste sur le fait que le principal mérite de Tunng fut d’être capable de produire une musique vivante et accrocheuse comme passeport à ce voyage hors du commun. Les séquences parlées sont courtes et les paroles des chansons, souvent poétiques ou philosophiques, n’ont pas l’âpreté des discours dogmatiques. C’est bien simple, on peut aisément faire abstraction du sujet et se promener agréablement sur les douze titres, tous différents et tous empreints de ce « folktronica » unique qui fait la marque de fabrique de Tunng depuis maintenant plus de quinze ans. Chose d’autant plus simple si la langue de Shakespeare vous échappe un petit peu. Mais c’est sûr, la magie ne sera pas complète et le petit laïus en français d’Ibrahim Ag Halhabib à la fin de « A Million Colours » vous donnera peut-être envie d’aller au-delà de la simple écoute musicale. Par ailleurs, je ne peux m’empêcher de penser que cette démarche intellectuelle est une valeur ajoutée qui donne de la chair aux chansons en les sortant de l’habituel carcan poppy. Ces collages audios sont une belle trouvaille pour le groupe qui trouve là un moyen spectaculaire de se renouveler. Maintenant, il est temps de situer un peu mieux la musique de Tunng. A l’instar du sémillant Bibio, c’est le folktronica qui définit le mieux la palette artistique de cette formation. En deux mots, cela ressemble à un heureux mélange d’électroniques et de rythmes hip hop associé à des instruments plus classiques, propres à créer des ambiances à la fois dansantes et méditatives. Mais pour moi, l’une de leurs principales attractions est cette habile construction vocale qui permet à Becky Jacobs et à Mike Lindsay de nous offrir de superbes parties chantées.
A présent revenons à Tunng presents… DEAD CLUB et à son univers contemplatif, intime et parfois festif. Tunng est coutumier des contrastes et des associations improbables qui, sur ce disque, vont amener l’auditeur vers des images colorées assez éloignées des représentations habituelles de la mort. Pour la majorité d’entre-nous, l’ancrage religieux est toujours puissant et le cannibalisme particulièrement dur à avaler (là, c’est volontaire). Le génial « Eating The Dead » qui ouvre l’album fait référence au peuple Wari d’Amazonie qui mange ses morts en forme d’hommage gastronomique (mais oui!) et de passation du savoir. D’entrée, on a compris le message, la mort ne sera pas traitée de façon classique, et la musique va suivre ce concept. Sur ce premier morceau, il s’agit d’une douce litanie répétitive avec pour fil conducteur quelques accords de piano qui tombent paresseusement sur cette histoire peu banale de transmission des souvenirs. Pour l’anecdote, mais sans trop rentrer dans les détails, il faut savoir que lors des discussions préparatoires, le guitariste Ashley Bates a proposé de bâtir les chansons sur les accords D.E.A.D. (Ré, Mi, La, Ré). Sam Genders le parolier et Mike Lindsay le compositeur ont tout de suite adhéré à cette formule, trouvant même que ces associations correspondaient à la tonalité qu’ils recherchaient. Autant dire, que le projet venait d’être bien lancé et que l’engouement général allait aboutir à l’enregistrement de véritables perles qui comptent aujourd’hui parmi les plus belles réussites de Tunng. Je retiens en particulier « The Last Day » et « Scared To Death », deux pièces majeures pleines d’inventivité et de fougue. Sur « The Last Day », on est bluffé par la façon dont une respiration, en l’occurrence celle de l’anthropologue Sue Black, peut être utilisée comme base rythmique. Une prouesse d’inventivité qui en dit long sur les capacités de recherche du groupe. Et puis, il y a cette merveille de « Scared To Death » avec son chant folk ultra-classique mais constamment encadré d’une petite touche d’électro qui fait la différence. Du très, très haut niveau, simple et efficace.
Ce n’est qu’un petit bout du voyage que je viens d’aborder, et si d’aventure je vous ai donné envie de poursuivre la découverte, je peux encore vous parler de « SDC » (Swedish Death Clining) et de son rythme d’horloge qui symbolise le temps qui passe et qui donne à cette société suédoise la mission de nettoyer la vie matérielle des défunts pour alléger la peine de la famille. Je peux aussi aborder le cas de « Death Is The New Sex » qui revient avec humour sur le constat qu’aujourd’hui tous les gros tabous ont sauté sauf celui de la mort. Jolie chanson à deux voix avec une électronique bien présente et un bel écho sur la fin qui donne de la résonance à l’ensemble. A noter que Max Porter, l’inspirateur du projet, apparaît comme narrateur sur « Man » et « Woman », deux titres qu’il a écrits et qui se trouvent ici bien mis en valeur par une guitare alerte (« Man ») ou un piano discret (Woman »). Pour finir, j’aimerais revenir sur le tonique « A Million Colours » et son habile construction où le duo vocal s’interrompt pour un décollage tonitruant à réveiller…les morts. Ici, le thème est simple, il parle de la difficulté de vivre l’absence tout en se raccrochant à un million de petits souvenirs indestructibles. Il y a bien d’autres visites à effectuer sur ce disque et c’est maintenant à vous de prendre un ticket pour ce drôle de périple enjoué qui peut-être servira de réflexion et entamera certaines de vos certitudes.
« Ashley Bates, Sam Genders, Becky Jacobs, Mike Lindsay, Martin Smith, Phil Winter, nous sommes Tunng et nous dédions notre album à toutes les personnes dans la peine et le deuil ». Autant dire que cette dédicace, aussi peu commune soit-elle, s’adresse à tout le monde. Au-delà de l’indéniable qualité musicale, c’est cette prise de conscience sur la familiarité de la mort qui doit retenir l’attention. Les douze chansons montrent, au travers d’exemples cocasses, qu’on peut la côtoyer comme une amie particulière, discrète mais toujours présente. Le romancier Terry Pratchett l’avait bien compris avec sa représentation anthropomorphique de la mort. Enfin, il faut garder à l’esprit qu’avec Tunng presents… DEAD CLUB, le groupe n’a pas cherché à banaliser un événement majeur et universel de la vie mais plutôt à le sortir des placards blindés dans lesquels on l’enferme. Tunng en ressort grandi avec l’impression d’être passé dans une autre dimension, dans une catégorie où l’on devient une référence et un sujet de discussions.
https://www.tunng.co.uk/dead_club/