Tribes Of Neurot – Grace
Tribes Of Neurot
Neurot Recordings
Savez vous qu’il existe un monde parallèle ? Dans cet univers les guitares se sont tues, les voix se sont transformées en échantillons sentencieux, et le rythme s’est arrêté. Seule compte l’essence, l’immatérialité de l’instant. Vastes résidus d’ambiances physiques qui perturbent les sens. Tribes Of Neurot est l’envers du miroir. Un dédoublement textural du groupe Neurosis, une part autonome, libre de toutes attaches. Mettre un pied dans « Grace », c’est avancer dans un brouillard opaque. Pas de retenue, seulement de l’abandon. Une trouille qui dresse les poils, une quantité de sonorités disparates, effrayantes dans son agencement, si calme dans son apparence, et si oppressante dans son déroulement. Curieux même, tant « Grace » parait distant. Cette fois-ci, l’aventure ne se pratique pas de manière crue, mais avec concentration, obscurité absolue, et casque bien ficelé dans les oreilles.
« Grace » est réellement le miroir déformant de « Times Of Grace« . Sans titres, sans indications, même durée, même symbole de la flamme passée sous négatif. C’est Alice qui passe dans un monde désespérément gris à l’industrie agonisante, spectres errants ressortant des messages passés sous filtres radiophoniques. Même en allant se perdre dans les méandres de la musique industrielle, Neurosis sait rendre le résultat intriguant, tordu, et par là assez unique. Emploi de drones inquiétants, sources inépuisables de sons parfois issus de contextes autres, tel ce bruit de projecteur cinématographique qui tourne à vide. L’angoisse par le vide, les empreintes d’une vie passée et autres reliquats scrutés à la loupe, « calme » insolite qui pousse dans les racines desséchées de gargouillis électroniques. Je pourrais bien m’arrêter là. Et hop, chronique pliée !
Mais non, car « Grace » a été composé et enregistré dans un but précis, celui d’être écouté et vécu simultanément avec « Times Of Grace ». Car une fois passé le cap de l’observation, ce qui va faire sa force et son propre talon d’Achille à son existence, c’est d’être la pièce indissociable d’un binôme. Voilà comment mettre en appétit. « Grace » seul est une alternative mystérieuse, beaucoup plus complexe qu’il n’en a l’air, de ce qui a été pensé ou écrit, victime consentante et malheureuse d’être le double ouaté et fantomatique d’un immense album. Pour le résultat final…
Jérémy Urbain (7/10 « seul »)