Tommaso Cappellato – Explorare
Explorare Recordings
2023
Thierry Folcher
Tommaso Cappellato – Explorare
Le jazz est peut-être le genre musical qui a le mieux évolué au fil du temps. Un courant exigeant certes, mais qui a toujours su s’accrocher aux nouvelles tendances avec plus ou moins d’opportunités et de succès. Je pense par exemple au trip hop et à des gens comme Massive Attack ou Portishead qui ont complètement révolutionné la musique populaire en mariant habilement l’électro avec des variantes expérimentales du jazz, de la soul et du funk. Dans le jazz, la fusion entre tradition et modernité est une réussite et chacun en tire profit. C’est tellement vaste et sans cesse renouvelé, que tout le monde peut dénicher un jour, le rythme, la mélodie ou les sonorités qu’il a toujours voulu entendre et dont il ne pourra se défaire. L’écoute du jazz est une affaire personnelle qui se réfère à sa propre sensibilité et à ses propres attentes, sans tricherie ni influences tapageuses. C’est tout à fait ce qu’il s’est passé pour moi avec Explorare de Tommaso Cappellato dont les bonnes vibrations se sont imposées sans pression extérieure ni autorité. Je suis tombé dessus par hasard et dès les premières notes de « Melody Lounge », l’accroche fut quasi immédiate. Il faut savoir que j’aime particulièrement ces ambiances « downtempo » où la sensualité de la musique pénètre directement au plus profond de notre organisme. Une sensualité qui aime bien les rythmes et leur façon naturelle de venir se caler sur les battements cardiaques ou la respiration. Avec Tommaso Cappellato ça tombe bien, car ce génial touche-à-tout possède un talent inné pour nous offrir ces rythmes avec dextérité et passion. Une aptitude que l’on retrouve dans des créations riches et variées qui l’ont rapidement propulsé au plus haut de la hiérarchie des batteurs de jazz actuels.
Tommaso Cappellato est issu d’une famille de musiciens originaire de Padoue en Italie. Un cadre idéal pour exprimer son amour précoce pour le jazz et l’inciter à rejoindre la très attirante côte ouest des États-Unis. Après une période d’apprentissage, il se lancera dans divers projets musicaux où il troquera son étroite panoplie de batteur pour celle de producteur musicien créatif. Désormais installé à Los Angeles, il fonde en 2022 Explorare, un collectif d’improvisation qui nous propose aujourd’hui cet album éponyme enregistré en compagnie de Diego Gaeta aux claviers et de Tony Martin à la basse. Une aventure américaine qu’il a souhaité contrebalancer par une formation européenne portant le nom de Collettivo Immaginario et qu’il partage avec Alberto Lincetto aux claviers et Nicolò Masetto à la basse. Mais revenons à Explorare et à son groove dévastateur qui a tout simplement envahi mon espace sonore et quelque peu chamboulé mes habitudes d’écoute. Un peu comme avec les albums des Suédois d’Esbjörn Svensson Trio dans les années 90 et 2000. L’album commence donc par les sautillements de « Melody Lounge », assez semblables aux recherches rythmiques et électroniques de la période seventies d’Herbie Hancock. Une filiation qui ne m’étonne pas, tellement l’héritage de ce jazz fusion est aujourd’hui très présent chez les passionnés de beats aux forts pouvoirs addictifs. Ce premier morceau démarre par une série de longues variations rythmiques avant que les claviers de Diego Gaeta ne prennent l’ascendant et ne rendent la mixture mélodieuse à souhait. La recette est simple, c’est certain, mais pour en arriver là, cela demande du travail et de très grandes compétences.
Changement de décor et de tempo avec « April In Parrish » (un clin d’œil à « April In Paris », la fameuse chanson de 1933, souvent reprise par les plus grands noms du jazz ?) et son leitmotiv, lui aussi, d’une simplicité confondante. Ce court morceau fonctionne un peu à l’envers du précédent. D’abord le motif et ensuite l’impro. Ici, le rythme laisse plus de place à la mélodie et du coup, le disque prend un coup de chaud fort apprécié. Deux premiers titres différents, mais profondément significatifs de l’exploration sonore voulue par Tommaso Cappellato. On a bien compris que son but est de nous inviter à le rejoindre dans son univers et à partager sa passion dans une même communauté d’esprit où les relations deviennent vite fusionnelles. Une invitation à la portée de tous, car dans sa discographie particulièrement bien fournie, Explorare est peut-être un de ses albums les plus abordables. Cela reste, malgré tout, une œuvre difficile à partager et qui relève de ressentis tellement personnels qu’ils ne peuvent avoir de portée universelle. Il y a juste le bouleversant « Mind Yarn », pour lequel j’ai voulu écrire cette chronique et sur lequel j’aimerais insister. Quand un morceau de musique vous met à l’arrêt comme je l’ai été, c’est qu’il se passe quelque chose de pas commun. Ce titre est tout simplement magnifique et possède cette capacité à ralentir les mouvements. La basse, la batterie et les notes légères du piano électrique effleurent nos organes en les mettant hors de toutes atteintes néfastes. Une expérience sensitive prolongée avec intensité grâce aux interventions de Diego Gaeta, toujours aussi opportunistes. Voilà pour le très bon, sachant que le reste est dans la catégorie du bon et du largement consommable. Que ce soient les phrases entêtantes de « Celestial Coordinates » et de « Nautilesque », les recherches progressives de l’alerte « All Knowing Smiles » ou la beauté immédiate de « Evening J », tout repose sur cette même volonté d’immersion et de dépendance.
Explorare de Tommaso Cappellato s’adresse en priorité aux amateurs de jazz, qu’il soit en fusion ou pas (le jazz !). Cela dit, la musique lounge, new age ou alternative n’est pas loin et peut amener pas mal d’auditeurs sur cet album remarquable dont le but avoué est de finir parmi les plus présents de votre discothèque. C’est, en tout cas, ce qu’il se passe pour moi, où les œuvres de Tommaso occupent un espace de plus en plus important aux côtés de celles de gens comme Moonchild (un autre trio de Los Angeles), Hania Rani ou la délicieuse Laufey. Je pense que si vous mettez les pieds dans cet univers et qu’il vous englue dans sa toile, vous n’êtes pas près d’en sortir. Un conseil, ne vous débattez pas.
https://www.tommasocappellato.com/