Tim Hecker – Virgins
Tim Hecker
Kranky
Le Canadien Tim Hecker fait partie de ces noms qui ont acquis avec les années des lettres de noblesse, mieux, une reconnaissance. Sorte de frère drone rugueux de Biosphere sorti du Québec, Tim (permettez-moi de le nommer ainsi) a joui d’une carrière quasi sans faute, d’une démarche moléculaire avec les sons et leur assemblage. Son esthétique du fragment en de courtes pièces collées se révèle fascinant et fortement attractif. Ses bourdonnements ouatés contiennent des parcelles de cristal d’une beauté mélodique renversante, comme une main au contact d’une brise humide. Alors que d’autres jouent la carte de la sécurité pour finalement ressortir un schéma codifié sans surprise et parfois carrément chiant, Tim, lui, cherche toujours à aller plus loin. Plus haut ou plus profond ? Je ne connais pas la réponse. Heureusement d’ailleurs ! Il reste des territoires inconnus, vierges. On ne peut pas schématiser l’apparence de Tim, sa manière, sa méthode. Il défriche, farfouille toujours. Sa musique est autant des taches pointillistes qu’une série de portraits ou qu’une rangée de néons dans l’obscurité citadine. Il est tout dans le vide, l’immédiat dans le lointain.
Les dimensions se mélangent. « Virgins » ne se décrit pas, ne s’analyse pas, et plus que ça, il demande du temps. Ce concept qu’on connait de moins en moins. Alors qu’à notre époque, l’ingestion, la digestion et la déjection d’un disque s’amenuise, cet album mérite plusieurs écoutes pour en découvrir chaque recoin, chaque morceau de drap à entrevoir dans l’exploration d’une maison abandonnée. Il n’est pas aussi évident et immanent que le précédent « Ravedeath 1972 ». C’est au fur et à mesure de ses écoutes qu’on s’éblouira sur les enchaînements, qu’on fermera les yeux sur ces drones délicats et intenses, entre notes de piano transformées, hachures électroniques et abstraction électro-acoustique.
Et plus j’écoute « Virgins », plus je ressens le caractère sensoriel de cet album, émotionnel. Il entretient l’espace du petit matin, il lève les voiles d’obscurité factices, il donne un autre angle de vision et modifie la lumière environnante. Le réel devient, de fait, surréel, amplifié, acousmatique. Les encoignures se drapent d’une nouvelle histoire et l’imagination, elle, fait le reste. Et laissez-la faire, « Virgins » est un album rare, surprenant et, pour tout dire, magnifique.
L’espace intime m’emmène dans de nouvelles dimensions où même la poussière se change en poésie d’un instant. Un instant, c’est tout ce qu’on demande… Alors prenez ce putain de temps !
Jérémy Urbain (9/10)