The Dizzy Brains – Dahalo

Dahalo
The Dizzy Brains
X-RAY Production
2021
Rudzik

The Dizzy Brains – Dahalo

THE DIZZY BRAINS - DAHALO

Me voici de nouveau en cours de rattrapage de cette année 2021. Il m’était impossible de passer sous silence le retour aux affaires en fin d’année dernière des Malgaches de The Dizzy Brains, ce quatuor anti-système qui éructe sa rage sous la forme d’un rock garage engagé. Il faut dire que la situation à Madagascar ne s’améliore pas, loin de là puisque les éléments naturels, décuplés par l’inaction environnementale des pouvoirs politiques mondiaux, ont encore sévèrement frappé l’Île Rouge très récemment. Alors les Dizzys sont remontés au front de la contestation avec Dahalo, une forme de retour aux sources pour un album entièrement chanté dans leur langue native.
Le titre de l’album est hautement symbolique. Historiquement, le Dahalo (voleur de zébus) était un rite de passage à l’âge adulte des jeunes Malgaches du sud-est de Madagascar (de l’ethnie Bara), le vol d’un zébu constituant la reconnaissance de l’accession à la majorité. Avec la dégradation de la situation générale et la corruption endémique, cette coutume a dégénéré, transformant les dahalos en pillards et violeurs sans foi ni loi regroupés en bandes organisées meurtrières armés de fusils russes (décidément…) qui alimentent un trafic de zébus maffieux. Il suffit de regarder la jaquette de l’album pour se dire qu’on n’a vraiment pas envie de les croiser au détour d’une piste. Cette insécurité chronique encouragée par l’inaction gouvernementale est malheureusement devenue le quotidien de ce peuple au demeurant si charmant. Madagascar est l’un des pays les plus pauvres du monde n’ayant pas connu la guerre et le premier pays à subir la famine due au réchauffement climatique.

THE DIZZY BRAINS - DAHALO band1
The Dizzy Brains n’ont qu’une seule arme, eux : leur rock garage vintage. La même que celle ayant sévi sur les albums Vangy (EP la rage), Out Of The Cage et Tany Razana (la terre brûlée des ancêtres) mais quelle arme ! Celle qui a mis le feu aux scènes des Trans Musicales de Rennes, du Printemps de Bourges, des Mauvaises Graines, du Maroc, du Festival Zandari Festa de Corée du Sud, d’Allemagne et bien sûr, de France lors de tournées incendiaires et mémorables. Et oui parce que, « Anao Inona? », « Qu’est-ce qu’on peut faire ? » chantaient-ils sur leur premier EP. « On ne peut pas créer une révolution avec nos guitares et nos micros, le peu qu’on puisse faire est de chanter, crier ce que d’autres sont en train de faire subir à notre pays. ». Leur vindicte est désormais également dirigée vers les nations exploitatrices étrangères, mais aussi vers un peuple trop fataliste et inactif face à l’infinie dégradation de sa condition. Jouer et chanter, ça ils le font diaboliquement bien même s’il leur a fallu gérer l’éviction de leur batteur Mirana et son remplacement réussi par Alban. Pour autant, les quatre insulaires continuent à chasser sur le territoire des Sonics, des Stooges et autres MC5 dont ils ont l’esprit chevillé au corps. Du fait qu’ils enregistrent « à l’ancienne » (donc dans les conditions du live), leur son est toujours aussi root même si l’exigence est paradoxalement de rigueur quand l’étonnant frontman qu’est Eddy Andrianarisoa déclare « Pour avoir un meilleur écho sur ma voix, j’ai demandé un micro, un casque pour que je puisse m’entendre et je suis allé chanter dans les chiottes du studio ». Si c’est pas l’esprit « garage » ça !
La douzaine de brûlots qui constitue cette galette est une rafale de coup de pieds aux fesses dont le faisceau musical explore le rock, le punk, le R&R, avec une touche de ska et d’orgue Hammond le temps d’un surprenant « I Kia » (La meuf). D’ailleurs, n’allez pas croire que nos Dizzys essayent de masquer (c’est à la mode) sous une approche et une production brutes un manque de technicité. En effet, leur premier morceau enregistré avec Alban est le très sophistiqué et loungy « Adala Tafaray » (Les fous rassemblés) proposant notamment de surprenantes parties de trompette. En contre-point de titres très directs et punchy comme « Nofy Hoy Aho » (C’est un rêve !) ou « Andevom-Bazaha » (Esclave de l’étranger), on remarquera la jam finale guitare / orgue Hammond de « Besorongola » (Le glandeur) qui aurait même pu se prolonger, les rythmiques de batterie tout en shuffle de « Trouble » (Problème) ou « Rimorimo » (Laisser rouler), le groove impulsé par les slides de basse de Mahefa sur « RESA-B… » (Histoire de …) et sur « Dahalo » (les Brigands) ainsi que le duo intimiste initial chant / gratte de « Andriamanjaka » (le Roi) ne laissant pas présager d’une suite punky, l’occasion de remarquer qu’Eddy ne se contente pas d’éructer systématiquement son chant rocailleux. Enfin, Poun démontre encore tout son talent à la guitare en délivrant quelques soli époustouflants tel celui d’« Andevom-Bazaha ».
L’album propose même des titres plus élaborés comme « Maika » (Pressé) qui donne dans un rock alternatif plutôt moderne tout en proposant des riffs de guitare sonnant très 60’s. Dans ce domaine, ce sont les 5:28 minutes de « Kere » (La famine) qui remportent la palme. Les parties insidieuses et complices de chant et de guitare sont supportées par une rythmique infaillible. Mais que dire de ce final de guitare épatant qui illustre parfaitement la révolte des Dizzys contre cette fatalité que ne devrait pas être la famine. Visionnez le clip joint à cet article et vous mesurerez beaucoup mieux ce que j’essaye très modestement et péniblement d’exprimer par des mots, car aucun d’entre eux n’est assez fort pour ça.

THE DIZZY BRAINS - DAHALO band2
Ils ont passé la trentaine, mais The Dizzy Brains ne se sont pas calmés ni assagis. Certes, la pandémie leur a imposé une pause scénique salutaire leur permettant de peaufiner leur discours et de prendre du recul. Aussi leurs textes ne sont plus purement vindicatifs, car ils intègrent désormais une dimension plus analytique de la terrible situation nationale dans laquelle se trouve Madagascar. Leur musique s’étoffe d’album en album sans perdre le contact avec ses racines qu’elles soient musicales ou humaines, bien au contraire. Il faut donc saluer une certaine habileté dans cet exercice parfaitement retranscrite dans Dahalo, un album qui donnera encore plus de personnalité aux shows de ce groupe à l’authenticité folle.

Crédit photos : Rijasolo

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