The Cure – Songs Of A Lost World

Songs Of A Lost World
The Cure
Fiction, Lost Music Limited, Universal, Polydor, et Capitol Records
2024
Lucas Biela & Palabras De Oro

The Cure – Songs Of A Lost World

The Cure Songs Of A Lost World

Introduction: Pour cet évènement que constitue le retour aux studios du mythique The Cure avec Songs Of A Lost World, ce ne sont pas un mais deux chroniqueurs qui se collent au difficile exercice de critiquer ce monstre sacré resté muet pendant seize longues années. Pour ce faire, partagés entre déception et satisfaction, nous revenons à un format peu usité depuis la chronique de l’album Distance Over Time de Dream Theater en 2019 : celui du « pour ou contre ». Lucas a dégainé sa plume la plus affutée pour se charger du « contre » alors que Palabras a trempé la sienne dans l’encre de ses yeux… bleus pour rédiger le « pour ».

The Cure Songs Of A Lost World band1

Lucas Biela, le Lucky Luke de la chronique.

Les Cure ont acquis un statut légendaire en se posant en pionniers du rock gothique et de toute la mouvance darkwave des années 80. Au grand dam des afficionados de musique sombre, on les a vus s’acoquiner avec la pop. Cela leur a néanmoins ouvert les portes des stades et de la notoriété. Le groupe a à nouveau revêtu ses habits sombres à l’aube des années 2000, mais pour succomber à ses démons commerciaux par la suite. Avec leur nouvel album, Songs Of A Lost World, nos Anglais regardent dans le rétroviseur. Ils privilégient alors les atmosphères sombres, tout en faisant entrer de-ci de-là la lumière.
On pourra diviser l’opus en deux catégories : les morceaux lancinants et les pièces douces-amères. Une troisième catégorie se profile avec le morceau « Warsong », mais il est bien le seul à proposer une atmosphère aussi déroutante. Sur les pièces lancinantes (« Alone», « And Nothing Is Forever », « I Can Never Say Goodbye » et « Endsong »), un motif est répété ad nauseam sans réelle variation. Le chant y arrive tardivement et même si on est dans des tons mélancoliques, on comprend qu’il se traîne en langueur, mais moins qu’il le fasse en longueur. Dans « Alone», les cordes restent discrètes et donnent une belle coloration automnale. En revanche, c’est le pathos des mélodrames hollywoodiens qui ressort de celles d’« And Nothing Is Forever », rendant ainsi la chanson fade. Avec « A Fragile Thing », on assiste à un mélange de tristesse et de joie, mais les éléments ne s’accordent pas entre eux. La batterie frétillante cherche en vain à convaincre ses compagnons de la suivre. Le piano reste en effet circonspect dans son coin. De même, la basse rumine de son côté tandis que la guitare pleure les larmes de son corps. « Drone:Nodrone » est à nouveau dans cet imbroglio. Cette fois-ci, les wah-wah plaintifs de Robert composent avec des rythmes chamarrés et des synthés scintillants. « All I Ever Am » connaît une situation équivalente. Alors que la batterie veut s’amuser, les synthés et les guitares préfèrent broyer du noir. On ne sait pas trop que penser de ces gloubi-boulgas, tellement ils sont indigestes. « Warsong » joue de son côté la carte de la distortion, en couvrant le ciel de nuages menaçants et psychédéliques qui tranchent radicalement avec l’univers lisse du reste. Bien qu’il s’agisse d’un des morceaux les plus intrigants de l’album, il ne s’inscrit guère dans l’ambiance globale.
Continuant à naviguer entre doute et affirmation, les Cure n’arrivent pas à se renouveler. L’album est certes marqué par les ambiances sombres pour lesquelles le groupe est tant apprécié, mais on peine à y trouver un souffle nouveau. Les plans se ressemblent et en rappellent même d’autres du passé. La moitié de l’album propose des pièces au motif qui se répète sans variation, une autre moitié des mélanges doux-amers sans queue ni tête. Une pièce sort du lot néanmoins, « Warsong ». La noirceur qui l’entoure, associée à une douleur indicible aurait pu servir de guide à l’ensemble, mais le groupe a préféré rester sur un terrain moins glissant.

The Cure Songs Of A Lost World band2

Palabras De Oro, Saudade, Saudade…

Je découvre l’album en même temps que je lis les mots couchés par Lucas et, bien que n’étant pas un fan die hard de The Cure, je suis assez interloqué par la négativité qui en ressort. Aussi, je pose la question : qu’attendions-nous d’un retour aux affaires de The Cure ? Le groupe s’est montré discret depuis seize ans. Songs Of A Lost World constitue donc indéniablement un évènement. Cependant, l’album couvrirait-il la période sombre du groupe si chère à son leader Robert Smith ou bien celle popisante qui lui a ouvert les portes de la célébrité internationale ? Étonnamment, c’est la première des deux que le groupe a choisie. On peut en déduire qu’il n’a pas opté pour la facilité. Petite parenthèse, n’oublions pas que les débuts de The Easy Cure (nom originel de la formation) en 1976 étaient franchement pop bien que classés rock gothique. Les deux singles « Boys Don’t Cry » et « Jumping Someone Else’s Train » extraits de leur premier album Three Imaginary Boys en témoignent amplement. C’est en 1980 que Robert Smith emmena ses deux acolytes vers le côté obscur de la force avec Seventeen Seconds illustré par son magique « A Forest ». Par la suite, le décisif The Head On The Door, bardé des tubes « In Between Days » et « Close To Me », amorça la chasse aux awards. L’aube du 21ème siècle sonna un retour vers l’obscurité, prélude à une mise en sommeil de la créativité de la formation muette depuis seize ans. Pourtant, en 2008, pas moins de trente-trois chansons furent écrites pour 4:13 Dream prévu pour être un double album, mais des problèmes contractuels avec le label Geffen Records le transformèrent en simple avec seulement treize titres. Un autre album devant comporter le complément ne vit jamais le jour. Je ne sais pas si Songs Of A Lost World, dont les chansons auraient été écrites en 2019, en a repris certaines abandonnées en 2008, mais ce qui est sur, c’est que Robert Smith en est le compositeur exclusif. Ce petit détour historique montre que The Cure a plusieurs fois louvoyé entre ses côtés dark et pop et je rejoins Lucas sur le fait que Songs Of A Lost World est résolument sombre et même en dehors des modes. Je trouve que ce choix montre que le retour aux studio de The Cure n’est pas mercantile, sinon il aurait privilégié la carte de la pop pour en garantir le succès commercial (pourtant, bien au rendez-vous dès sa sortie). C’est tout à leur honneur. D’autre part, ça fait vachement du bien de réentendre le timbre vocal si particulier de Robert Smith son mentor, qui semble ne pas avoir pris une ride. L’opus signe le retour au bercail du guitariste Reeves Gabrels et du claviériste Roger O’Donnell aux côtés du batteur Jason Cooper et du bassiste Simon Gallup.
Immergeons-nous dans ce Songs Of A Lost World. Effectivement, le verbe est particulièrement adéquat pour décrire les sentiments qui vous submergent dès le début de « Alone » et son atmosphère dark ambient lente. On peut avoir l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose et que ça traîne en longueur. Néanmoins, en tentant de surnager, on perçoit toutes les petites sonorités qui font évoluer le morceau jusqu’à ce que Robert se décide à donner de la voix après 3’30 d’instrumental. Alors, même si le côté lancinant est omniprésent sur les treize titres, il fait partie de l’ADN de The Cure. Aussi, il n’y a pas à être surpris par ces longueurs volontaires sur lesquelles, il faut, certes, tendre l’oreille pour en percevoir les variations qui sont pourtant bien réelles. « And Nothing Is Forever » introduit une forme de beauté et de majesté symphonique dans les montées de son credo, formant le creuset dans lequel le chant se coule avec un effet retard similaire au titre précédent (oui Lucas, tu as raison !) Pour « A Fragile Thing », l’opposition entre une batterie sautillante et une rythmique très simpliste ne m’a pas choqué et permet d’insuffler un souffle différent de celui du début de la galette. « Warsong » s’acoquine avec le doom. Les accents distordus de guitare remplacent les nappes de clavier pour faire enfler une sorte de désespérance infinie. « Drone:Nodrone » introduit une dose de groove bienvenue aussi bien en termes de rythmique que de chant, l’occasion d’y glisser l’un des seuls soli de guitare de l’album (avec « Endsong »). Retour dans un océan mélancolique avec « I Can Never Say Goodbye » dont l’opposition entre quelques notes de piano, une basse ondoyante et des nappes de synthé et cordes tisse une toile musicale soyeuse. Robert Smith pose encore sur cette trame ses accents vocaux si typiques et convaincants, se nimbant de délicatesse pour un superbe final acoustique… ma plage préférée de l’album. De nouveau « All I Ever Am » joue la carte de la rupture avec ce qui précède grâce à une rythmique de batterie breakée et entraînante ainsi qu’à un refrain classiquement « Curien » (je n’ai pas osé « Curiste »). Les tréfonds des ténèbres sont atteints avec « Endsong » dont les sombres nappes de claviers sont fracassées par une batterie puissante et métronomique. Les variations sonores se superposent insidieusement tout au long de la dizaine de minutes de la chanson, créant une atmosphère qui, je ne sais pourquoi, me rappelle celle du « The Sky Is Red » de Leprous (album Pitfalls) dans un style totalement différent. Ce sont les sentiments de désespoir que m’inspirent ces deux chansons qui sont en fait similaires. Il serait très simpliste de penser qu’il ne se passe pas grand-chose tout au long de l’interminable « Endsong ». Il faut tendre les esgourdes pour mesurer tous les petits apports et couches sonores qui habillent subtilement cette rythmique pachydermique, y compris en matière de percussions. Là encore, Robert Smith survient tardivement (au bout de 6’30). On ne peut pas dire qu’il tire la couverture à lui.
En définitive, je comprends que Lucas ait coincé sur le côté monotone et monolithique de Songs Of A Lost World bien que moi, je n’y aie trouvé rien de surprenant par rapport à la discographie la plus sombre de The Cure. Je ne sais pas si un ou deux titres plus enlevés et/ou pop auraient pu y trouver leur place. Robert Smith a dores et déjà annoncé que son successeur serait pratiquement achevé et qu’un troisième serait en cours de réalisation. Ce sera peut-être l’occasion de rattraper le temps perdu et de remettre à l’honneur une autre facette du groupe.

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Un commentaire

  • Philippe Petit

    Bonne chronique pour (ce que je considère comme) un album très réussi. Merci à vous!
    PS Ça fait plaisir de lire un texte qui ne soit pas truffé de fautes d’orthographe. Une étoile supplémentaire pour ça.
    Vivestido (chroniqueur et éditeur chez Prog censor)

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