That Joe Payne – By Name By Nature
Autoproduction
2020
Rudzik
That Joe Payne – By Name By Nature
L’ex chanteur de The Enid de 2011 à 2016 a pris son temps pour s’extraire du carcan symphonique de ce groupe bien établi afin de voler de ses propres ailes sous le nom de scéne That Joe Payne. En proie à une grosse dépression, il a été dans l’obligation de prendre du recul par rapport à la scéne et à la création artistique avant de revenir en douceur en papillonant à droite à gauche en studio, mais également sur scène où il se sent comme un poisson dans l’eau. Pour ma part, je l’ai beaucoup plus apprécié lors de ses prestations plus « nature » au Crescendo ces dernières années lors de jams et de duos improvisés notamment avec Hayley Griffiths (ex Karnataka) que lors de son passage très emphatique avec The Enid au Loreley 2016. En quête d’une joie de vivre et de chanter, sans doute, a t-il trouvé dans ces expériences conviviales la voie à suivre, collaborant notamment de façon très remarquée à l’album conceptuel de Zio, le projet mené par notre compatriote Jimmy Pallagrosi, encore un ex-Karnataka ayant usé les planches du Crescendo.
That Joe Payne est un sacré beau gosse, aussi qui n’a pas rêvé de le voir mis à nu ! Avec By Name By Nature, notre vœux est exaucé au propre comme au figuré… ou presque. Au propre, car le superbe livret accompagnant le CD comporte quelques photos et dessins suggestifs et artistiques quoique jamais vulgaires. Au figuré, car un peu comme un Jimmy Somerville, That Joe a décidé de faire de cet album un magistral coming out en faisant passer de nombreux messages personnels sur les souffrances psychologiques qu’il a enduré dans sa jeunesse. Outre les textes, le livret comporte pour chaque titre quelques lignes très personnelles dénommées « fun fact » expliquant la genèse du morceau en question. Vraiment sympa ! Et surtout, That Joe Payne est au four et au moulin car au chant et à la création des textes bien sûr mais également au piano et partiellement aux manettes pour la production depuis son home studio personnel.
Une fois n’est pas coutume, j’ai commencé par présenter la jaquette de l’album, mais d’un point de vue musical, That Joe est à la fois là où l’on pouvait l’attendre avec des titres grandiloquents et symphoniques sur lesquels son extraordinaire voix fait des merveilles, mais aussi nous prend complètement à contre-pied avec d’autres morceaux plus improbables, en minorité cependant pour ces derniers. L’intro très lyrique fait craindre que l’ombre de The Enid ne soit omniprésente, mais celle-ci s’envole brutalement pour le titre éponyme de l’album complètement barré avec cette rythmique hachée de puissants coups d’archet de violon et ces expérimentations vocales d’une originalité folle. Certes, celles-ci sont blindées d’artifices électroniques, mais que s’est-il passé dans la tête de That Joe pour créer un morceau aussi délirant et génial. On y comprend d’où vient son nom de scène That Joe Payne. « By Name By Nature » exprime le poids des regards du voisinage porté sur ce Joe Payne si peu recommandable du fait de ses orientations sexuelles, avec un refrain de commérages au jeu de mot de très mauvais goût qui a dû hanter toute sa jeunesse : « That Joe Payne will be no good to ya, He’s a Payne by name and a pain by nature… Is gonna ruin your life cos he’s a pain by nature ». Il faut réécouter plusieurs fois ce titre pour en prendre toute la mesure, en particulier concernant les innombrables effets vocaux d’une incroyable modernité. Il faut dire que That Joe Payne a reçu sur cet opus le renfort remarqué du producteur et guitariste Max Read, un compagnon de très longue date qu’il a également côtoyé pendant cinq longues années et autant d’albums au sein de The Enid. Outre son excellence aux manettes, Max a apporté également sa contribution vocale sur pratiquement chaque titre. Le dessin accompagnant le texte de « By Name By Nature » et représentant Joe nu sur scène est issu d’un cauchemar dans lequel il a eu cette horrible vision. Parfois, on aimerait être dans les cauchemars des autres ha ha ha ! Dire qu’il a failli être la jaquette de l’album, Joe faisant finalement le choix heureux de la sagesse avec une photo/aquarelle du plus bel effet concoctée par Sarah Martin (www.sarahmartinartist.com).
Notre ami enfonce le clou avec « Nice Boy », sorte de rencontre musicale improbable entre les Beach Boys sur l’intro et les refrains et… Prince. Impossible de tenir en place pendant ce titre funky très entraînant et encore gavé d’effets vocaux remarquables. That Joe s’assagit sur « In My Head », un rebut incompréhensiblement écarté par The Enid, d’une sensibilité extrême, laissant plus naturellement sa magnifique voix s’exprimer en doublon avec quelques discrètes notes de piano. Autre morceau de bravoure de l’album, « What Is The World Coming To », comportant de subtiles références à l’oppression de la culture gay, était sorti sur un EP en 2018. Son refrain avec ses choeurs à la Queen et son cliché accompagnant le texte représentant Joe en chevalier défenseur du « RainbowFlag » valent leur pesant d’or. Ms Amy Birks (« ex Beatrix Players ») accompagne That Joe le temps d’un blues extrêmement convaincant pour « Love (Not The Same) » sur lequel le duo fait des étincelles, surtout dans une dernière partie plus débridée. « I Need A Change » illustre de façon très symphonique le syndrome dépressif sévère dont s’est extrait Joe avec des textes qui font froid dans le dos. Heureusement, c’est « End Of The Tunnel » qui lui succède, un morceau paradoxalement écrit il y a une dizaine d’années qui est d’une délicatesse extrême, en particulier dans l’assemblage voix/piano. J’ai toujours un peu de mal avec des titres originaux livrés sous forme de bonus qui, soit n’étaient pas jugés assez bons pour l’album (alors pourquoi les y adjoindre?), soit sont si bons qu’ils ne doivent pas être de simples bonus. C’est dans la seconde catégorie qu’il faut ranger le sautillant et riche « Music For A While » aux chœurs parfois bien barrés ainsi que l’impressionnant et mélancolique « Moonlit Love » aux accents d’orgue d’église et aux chœurs à la Queen.
By Name By Nature n’est pas toujours très facile d’accès de part certaines expérimentations inattendues de That Joe Payne, en particulier sur son titre éponyme. C’est justement cette prise de risques liée à une sincérité de tous les instants qui m’a plu. Certes, notre ami de Northampton a conservé ses influences symphoniques que je trouve trop pompeuses et emphatiques dans The Enid (vous l’aurez compris, je n’en suis pas fan) mais les a accomodées à sa sauce musicale bien plus aventureuse. Il en résulte un album sucré-salé avec son lot de surprises et une production hors pair dont sa voix sort sublimée.
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