Tesla – Psychotic Supper
Geffen Records
1991
Palabras De Oro
Tesla – Psychotic Supper
Tout le monde connaît l’histoire de Tesla. Pas celle d’Elon, mais plutôt celle de l’Américain d’origine serbe Nikola et de sa rivalité avec son ex-patron, Thomas Edison. Celle-ci fût surnommée « La guerre des courants ». Elle les opposa (avec Georges Westinghouse) au sujet de la promotion vertueuse du courant alternatif en lieu et place du trust mercantile du courant continu. Non ? Il faut dire qu’Edison, requin spoliateur et capitaliste, a tout fait pour que son nom soit associé à la fée électricité et ses produits dérivés. Ce faisant, il a méthodiquement calomnié et éclipsé son rival génial et besogneux dont la réhabilitation fait doucement son chemin dans les médias depuis quelques années.
Cette injustice de l’histoire a inspiré cinq gars de Sacramento, reprenant le nom de Tesla pour fonder un groupe de hard rock qui, il faut le dire, connaît une destinée un peu similaire. L’ami qui me les a fait connaître me disait : « Tesla, c’est le groupe dont tout le monde aime les chansons, mais dont on ne connaît pas le nom et dont on n’achète pas les albums ». C’est bien évidemment exagéré, mais saviez-vous que ce sont eux qui ont lancé la mode des concerts unplugged avec leur troisième album (le plus vendu de leur carrière), Five Man Acoustical Jam en 1990 ? Et pourtant, nombreux sont ceux qui croient que c’est Nirvana qui a popularisé le « débranché » ! J’ai connu Tesla avec son successeur, Psychotic Supper, qui m’a mis littéralement en transe et continue à le faire à chaque réécoute. Et justement, pour tempérer les propos de mon ami, ce disque, surnommé « Tesla’s peak » (l’apogée de Tesla), a été platiné et se retrouve régulièrement classé dans les 500 meilleurs albums de rock et metal des médias spécialisés. Toutefois, il présente le défaut de ne pas comporter un morceau suffisamment direct pour cartonner en tant que single à la radio. Donc, reconnaissance, il y a quand-même ! À noter que la dévotion du groupe envers Nikola Tesla est réelle. On trouve sur son site un onglet pointant vers le site de Wardenclyffe, l’endroit où fût batie en 1901 la célèbre et colossale tour voulue par Nikola pour démontrer le caractère universel et industriel des transmissions radio sans fil. Un vrai visionnaire ce mec.
Psychotic Supper démarre brutalement par la courte phrase « Put this in your pipe and smoke it! » (« Bourre ça dans ta pipe et fume-le ! »), éructée agressivement a capella, et à laquelle succède un riff non moins agressif. Ils nous auront prévenus d’entrée ! C’est « Change In The Weather » (on en parlait déjà à l’époque) qui vous fracasse la tronche tel un uppercut puis continue le travail de rouleau compresseur avec un florilège de riffs d’une variété étonnante. On sort martyrisé de ces 3’40 » dévastatrices dont seuls les chœurs du refrain peuvent apparaître un peu trop faciles. Pas grave, car « Edison’s Medicine » est encore plus agressif avec le solo de ouf de Frank Hannon balancé sans prévenir en intro. On croit qu’on va avoir droit à un titre instrumental de guitar hero à la Satriani. Que nenni ! La suite est une surprenante alternance de rythmiques saturées et non saturées sur lesquelles, Jeff Keith écorche savoureusement le texte génial du morceau. Celui-ci met à mal la personnalité controversée de Thomas « Wicked Man » Edison, imageant son dédain raciste envers Nikola Tesla de la part de ce businessman douteux (et même la spoliation de Marconi). On est très loin de ce qui a été enseigné universellement, à savoir tresser des lauriers à Edison. L’opposition entre les deux soli de guitare successifs est parfaite. Franck y glisse du theremin, un instrument magnétique non pas inventé par Tesla, mais par Paul Tanner. Tout ceci précède une reprise fortement breakée sur laquelle Troy Luccketta castagne sa snare et affole sa grosse caisse. Jeff se montre ironique, à la façon d’Alice Cooper. Edison est taillé en pièces comme il faut. Ensuite, « Don’t De-Rock Me » accélère le rythme avec encore un énorme solo de gratte en intro. Les variations des riffs de Tommy Skeoch deviennent la marque de fabrique du groupe. On a même droit à un furieux solo de batterie en prélude à une partie instrumentale stratosphérique où la guitare de Franck prend littéralement feu. Mais qu’est-ce qu’il lui a pris à Troy de foutre un solo de batterie, même pas chiant, dans un morceau studio ? Bon, Tesla calme le jeu avec le popisant et alternatif « Call It What You Want ». C’est pour mieux te manger. Et oui, le loup s’est déguisé en Mère-Grand pour « Song & Emotion » et son début classique acoustique et mélancolique qui laisse croire que le moment de la ballade éculée est arrivé. On ne le sait pas, mais on est entré dans le cœur de Psychotic Supper, car la montée de cette chanson est à couper le souffle avec l’arrivée d’un riff d’une lourdeur folle en deux temps de puissance, la seconde étant magnifiée par un bend de guitare alternatif et dramatique en fond sonore qui habille remarquablement les couplets. Régulièrement, le refrain revient judicieusement calmer le jeu avant la salve suivante. Ah et puis ce génial et inattendu final oriental… Mon collègue Alain dirait « il y a du prog là-dedans, c’est un OMNI ! ».
Autant, je suis très critique pour les ballades, d’où mes craintes à l’intro de « Song & Emotion », autant je suis raide dingue des mid-tempi. Et là, « Time » met le potar sur « 11 » (cf le movie Spinal Tap) et se montre incroyablement bandant avec sa rythmique chaloupée et son riff complexe que j’adore, parsemant son refrain de quelques arythmies épatantes (il manque des mesures par-ci par-là). Troy fait sonner la cloche sur les refrains. Jeff a le timbre puissant et éraillé suffisant pour dominer l’ensemble, ce qui n’est pas gagné étant donné l’ampleur des guitares. Il chante comme en live et en live… ben, c’est pareil, car confirmé sur le DVD Comin’ Atcha Live! 2008 que j’avais eu grand plaisir à chroniquer. « Time » est un coffre à bijoux dont le moindre n’est certainement pas ce surprenant final mi-jazzy mi-metal, où le toucher de Brian Wheat à la basse est à l’honneur, achevé par un cri cauchemardesque de Jeff. La courte ballade acoustique « Government Personnel » qui s’ensuit est une pause respiratoire salutaire. Parce-que l’autre fantastique mid-tempo qu’est « Freedom Slave » débarque sur une sympathique rythmique de frisés et de coups doubles de batterie convenant parfaitement à ses propos militaires et guerriers. J’en profite pour avouer que j’adore le jeu de batterie infaillible de Troy et cette capacité à marquer des breaks avec des coups doubles fort à propos qui sectionnent efficacement chaque morceau. « Freedom Slave », c’est également ce riff très aigu sur les refrains, certainement le plus agressif de toute la discographie de Tesla. Les changements de tons dans les riffs sur le solo de Franck me déclenchent à chaque fois un raz de marée de frissons. « Attention ! About Face ! March ! Left, right, left, right… » Quelle chanson ! Et de nouveau quelles paroles ! Les bonnes choses ayant une fin, halte aux mid et retour au bon vieux rock avec le plus classique, mais non moins énergique « Had Enough » dont la dernière partie est éléphantesque. Oulah ! La très redoutée ballade débarque sous la forme de « What You Give ». Et bien, Tesla passe haut la main l’examen de la ballade pas chiante. La trame acoustique apparaît simple, mais ça s’anime grave quand un coup double de snare de Troy donne le signal du départ à l’électrique (quand je vous le disais). Le morceau enfle et pulse à chaque fois que le refrain en deux couches successives s’annonce et ce dernier est tout sauf mièvre. Jeff sait aussi faire vibrer la corde sensible, que cela soit pour annoncer l’orage ou pour apporter le calme après la tempête. Bon une seconde ballade d’affilée, c’est vraiment très risqué ! Et pourtant ça continue à marcher avec « Stir It Up ». Les accords trouvés par la paire Tommy Skeoch et Frank Hannon sont diablement accrocheurs et Jeff a toujours le ton juste. La partie instrumentale anime un peu le titre et le ranime pour monter d’un ton et faire frissonner jusqu’au bout « Stir it up, baby ». La faille de Psychotic Supper c’est peut-être « Can’t Stop », entre deux chaises et moins convaincant. La dernière chanson bluesy, « Toke About It », sonne comme du Black Crowes avec même un solo de clavier de Franck. Jeff se la joue Chris Robinson et imprime un final accéléré fort efficace.
C’est fini ou presque, car je me suis procuré la réédition japonaise remastérisée de 2022 qui m’a gratifié de trois titres supplémentaires dont, à ma grande surprise, une cover de l’excellent « Rock The Nation », un titre punchy de Montrose (du groupe Montrose). Psychotic Supper représente l’alignement des planètes de Tesla au firmament du hard rock à la sauce metal. Les cinq Américains ont fait preuve d’une créativité exceptionnelle qu’ils approcheront sans plus jamais l’atteindre par la suite, préférant simplifier leur propos pour tenter de mieux toucher une fanbase plus mainstream. J’en veux pour preuve l’opportuniste Into The Now sorti en 2004 qui ne comportait que des titres formatés et… aucun solo de guitare, car ce n’était plus à la mode, effet neo metal oblige… un sacrilège quand on mesure le talent de Franck Hannon. Dire que je n’ai jamais réussi à les voir en live, parce qu’ils sortent peu des États-Unis. Je me console en regardant leur DVD live cité plus haut dans lequel les meilleurs titres de Psychotic Supper, bien que complexes, sont exécutés avec beaucoup de maestria.
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