Stigman – Dream Songs
Autoproduction
2018
Stigman – Dream Songs
La définition que j’ai d’un bon songwriter est qu’il me donne envie d’explorer son univers. Avec le Namurois Stigman alias François Borgers, cela va même encore plus loin car je n’ai pas l’impression que cet univers souffre de réelles limites. Il faut dire que l’homme est agrégé de philosophie, qu’il est fan de Bergman et de Tarkovski et que son nom d’artiste s’inspire d’Ira Stigman, le personnage central d’À la merci d’un courant violent, un roman de l’immense écrivain américain Henry Roth, disparu en 1995.
Evidemment, posé comme ceci, ça intimide un peu. Mais qu’on se rassure tout de suite, les chansons de François Borgers ont cette simplicité à la fois forte, délicate et immédiatement touchante des grands songwriters d’outre-Manche ou d’outre-Atlantique. C’est d’ailleurs en anglais qu’il chante, seulement accompagné de quelques guitares, de quelques synthés/claviers et d’une boîte à rythme faisant office de batteur virtuel solide et obstiné. Car l’homme est un artisan solitaire oeuvrant avec constance, détermination et méticulosité dans le secret de son home studio. Il compose les musiques, écrit les textes, joue de tous les instruments, chante et diffuse ses propres films lors de certains concerts.
Comme je vous le disais plus haut, on entre tout de suite dans les chansons de Stigman. La voix chaude et expressive de l’homme y est pour beaucoup. Les guitares acoustiques définissent le climat mélodique de base, appuyées dans leur mission par des guitares électriques plus rugueuses. En arrière-plan, des synthés jouent les basses et les claviers apportent les harmonies supplémentaires indispensables à la sonorité générale de la chanson. La boîte à rythme est importante aussi, toujours programmée sur un tempo relativement simple mais faisant parfaitement le job.
Cependant, c’est le talent de mélodiste de François Borgers qui agit sans délai et sans filtre. Toutes les mélodies ont le même caractère simple ou à peine raffiné, direct et prenant. C’est la marque des grands compositeurs et c’est sans conteste la force des chansons de cet artiste. Les textes sont également à l’honneur. On sent le choix des mots, le travail d’écriture mis dans chaque phrase, la qualité de chaque couplet, la puissance de chaque refrain. Ecrire une bonne chanson est tout un art, et ici cet art est tout à fait maîtrisé. Ce qu’on sent surtout c’est l’implication dans les thèmes abordés, la profondeur dans l’inspiration, des chansons où rien n’est gratuit et encore moins commercial. Stigman est certainement à contre-courant des chansonniers à la recherche du succès facile. Il n’en a cure, il est totalement dans le courant d’un Bob Dylan ou d’un Gordon Lightfoot, et seul ceci importe.
Reste le style, et le style c’est l’homme nous disait Buffon. Autant dire l’essentiel. Alors si vous aimez les climats clairs-obscurs et la mélancolie érigée en principe de vie, vous allez être servis. Mais attention, rien d’ostentatoire. Tout est dans l’atmosphère, dans un méandre harmonique, dans le ton d’une phrase, dans le choix d’un mot ou même dans un simple non-dit. Le premier album fut Broken Skins, en 2013, un premier coup de maître. Le deuxième ne fut pas ce qu’il devait être, le musicien ayant perdu son père durant l’élaboration de celui-ci. Du coup, l’album s’appelera Fathers, sorti en 2015, « Pères », au pluriel, car il s’agissait autant d’évoquer son père que le père qu’il est lui-même.
Et voici maintenant , un troisième et superbe album. Cela commence par « All My Tears Are Gone » et « My Castles », châteaux faits de sable. Avec ces très belles chansons, on est tout de suite dans le ton. Vient alors « Are You As Alone As I am ? ». En un titre, tout est dit. Mais c’est le refrain, si entraînant mais tellement à contre-sens du thème de la chanson, qui nous reste gravé en tête tant il est parfaitement composé. Tout le reste est à l’avenant, c’est à dire d’une « honnêtETé » constante et d’une qualité exceptionnelle. Dans un univers musical toujours plus tourné vers le clinquant et la rentabilité, Stigman/François Borgers nous fait du bien par sa probité et sa mélancolie ouvragée.
Frédéric Gerchambeau