Steven Wilson – Insurgentes
K-Scope
2009
Fred Natuzzi & Philippe Vallin
Steven Wilson est un homme très occupé. A la fois musicien extrêmement prolifique et producteur influent dans la galaxie pop-rock-métal anglo-saxonne, notre génie perfectionniste enchaîne les projets avec une aisance déconcertante et à l’arrivée, une qualité qui force toujours le respect. En effet, malgré un planning souvent chargé avec Porcupine Tree (son groupe de référence), l’artiste anglais collectionne les « side-projects », participe régulièrement au concept pop-atmosphérique No-Man avec Tim Bowness, s’illustre avec brio dans la musique électronique « ambient » (Bass Communion, IEM, Continuum), collabore en duo avec le chanteur israélien Aviv Geffen (Blackfield), produit les trois meilleurs disques des métalleux d’Opeth, compose pour Fish (ex-Marillion) et, enfin, se voit crédité dans une pléiade d’albums avec Dream Theater, OSI, Paatos, Anja Garbarek, Vidna Obmana, Yoko Ono et on en passe.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, c’est après plus de vingt ans d’une carrière bien remplie que Steve Wilson se décide enfin à publier un disque solo sous son propre nom (même si il est vrai que le premier album de Porcupine Tree était plus une œuvre en solitaire qu’autre chose). On pourrait croire que ce Insurgentes n’est que le produit de chutes de studio, d’idées non utilisées et recyclées au final pour l’album. Il n’en est rien. Fidèle à sa réputation, le guitariste touche-à-tout vient de publier une œuvre musicale où la qualité se dispute à l’inspiration. Insurgentes (qui donne son nom à la plus longue avenue de Mexico city) a été écrit entre janvier et août 2008, alors que le musicien parcourait la planète de long en large et s’inspirait des étapes de ce périple pour donner naissance à son nouveau bébé. Steven Wilson s’est donc imprégné de sons, d’images et d’émotions glanés au fil de ses voyages. En résulte un album sombre, d’une beauté glaciale, apocalyptique et quasi mystique, sorte de peinture d’une civilisation qui met tout en œuvre pour se mener elle-même à sa propre autodestruction.Afin de matérialiser en studio ces radieuses et positives visions d’avenir, Steve Wilson s’est entouré du complice Gavin Harrison (l’excellent batteur de Porcupine Tree), de l’illustre Tony Levin à la basse, du multi-instrumentiste Théo Travis ou encore du claviériste (trop ?) virtuose Jordan Rudess. A l’arrivée, ces participations orchestrées par le maître contribuent à conférer au disque une identité musicale immédiatement familière, même si Insurgentes surprend, se livre même difficilement au départ, et contient au final son lot de surprises ! Il est clair que Steven Wilson rend avec Insurgentes un hommage appuyé à ses nombreuses influences musicales. Malgré cela, les dix titres de l’album ont tous indiscutablement bénéficié de sa patte d’auteur surdoué et d’arrangeur de talent. On passe donc au fil des compositions de la pop atmosphérique teintée d’électro minimaliste au rock sombre, du « planant » au « plombant », du calme à la tempête, sans jamais que l’ensemble ne paraisse incohérent. Seules les effluves « métal » manqueraient curieusement à l’appel. La raison ? Porcupine Tree en a peut-être trop abusé ces dernières années à l’occasion de ses derniers opus, brillants et inspirés malgré tout. En revanche, Insurgentes n’est pas avare en distorsions propres au « Drone » (un genre extrême issu du stoner, et dont Wilson s’avoue être un grand amateur !), avec des murs de guitares que ne renieraient pas un Earth, un Boris ou un Sunn O))). Ecoutez donc avec attention l’extraordinaire Salvaging et profitez de quelques instants de lumière et de plénitude au paradis avant de plonger dans les ténèbres, frissons garantis ! Dans un genre plus serein, Significant Other serait plutôt à classer dans la mouvance pop façon Blackfield, avec un soupçon de psychédélisme en plus de la mélodie accrocheuse. Enfin, Insurgentes se laisse aussi séduire pas les sonorités new-wave empruntées au Cure de la grande époque, en témoignent la ligne de basse caractéristique et le climat dépressif et grisâtre de Only child.
Résultat, ce petit chef d’œuvre, high-tech et « progressif » au sens noble du terme, aurait presque pu être l’album de transition entre l’aérien Lightbulb Sun et le vitaminé In Absentia de Porcupine Tree. Insurgentes demeurera pour longtemps un bijou noir où la gaieté n’est pas de mise, mais où l’on aime se laisser emporter, tantôt par un riff de guitare, tantôt par un paysage sonore hypnotique. Une immersion passionnante dans l’univers d’un musicien en état de grâce, en attendant la parution en septembre du très attendu The Incident, produit, réalisé et signé par qui vous savez.
Fred Natuzzi & Philippe Vallin (9/10)