Steve Von Till – No Wilderness Deep Enough

No Wilderness Deep Enough
Steve Von Till
Neurot Recordings
2020
Jéré Mignon

Steve Von Till – No Wilderness Deep Enough

Steve Von Till No Wilderness Deep Enough

Quand on parle de Steve Von Till, on cause du miroir vocal de Neurosis. Celle d’une voix profonde qui vient des entrailles du corps. Un organe qui remue par sa lenteur calculée, son timbre obscur à la frontière de l’abstraction et cette mélancolie prégnante dont on n’ose même pas esquisser ne serait-ce l’ombre d’un sourire de peur d’être grossier. Von Till parle de paysage désertique, d’habitat à l’abandon mais toujours parcouru d’une certaine énergie mémorielle. L’américain recueille ces parcelles biographiques, les fait siennes et accouche de morceaux hypnotiques, épurés mais ouverts, fantomatiques mais haptiques.

Écouter un album de Steve Von Till, c’est se mettre aux côté d’un homme qui a décidé d’assumer et de supporter le poids du temps, des saisons et de la nature. On l’écoute, on se laisse bercer, on ne cherche pas à interrompre, même en toussant le plus discrètement possible. Steve Von Till serait même plus proche de ce qu’on pourrait appeler du « field recordings métaphorique ». Quand on écoute sa voix, c’est la poussière qui s’envole, le courant d’air qui siffle au travers d’une porte entrouverte. Quand violons et violoncelle s’interposent, c’est pour photographier un paysage. Peut-être sec, vide ou au contraire verdoyant où seules les herbes se frottent, c’est un tableau à la Jóhann Jóhannsson qui apparaît ou qu’on cherche à imaginer. Quand l’ensemble des orchestrations, notes de piano, pointes électroniques (entre Brian Eno et Coil) et silences pesés s’emboîtent c’est la cartographie d’une étendue qui se dessine… D’abord, ce sont les contours, indistincts, un horizon se discernant tout juste, puis s’ajoutent la végétation, éparse ou envahissante, un ciel qui prend une coloration, une brise sur une nuque et puis vient la voix de Steve Von Till. Minérale, elle guide, cherche, s’interroge ou contemple. Elle découvre autant qu’elle décrit, elle se fait traînante jusqu’au dernier atome de carbone ou se laisse planer au-dessus de ces panoramas dont on n’ose à peine fouler de la pointe du pied. Parce qu’il y a ce quelque chose de pudique chez l’américain, ce sentiment qu’on n’entre pas dans cet imaginaire sur un simple laisser-passer.

Steve Von Till No Wilderness Deep Enough Band 1

On reste d’abord en retrait dans No Wilderness Deep Enough. Peut-être parce qu’il n’y a pas de guitares… Étrange pour de la folk… C’est un bouillonnement en solitaire, un affinage des formes. On observe de loin avant de faire un pas, puis un autre et encore un. Et puis, attiré par la voix chaude, fatiguée mais réconfortante de Von Till, on se surprend à s’asseoir à côté de lui, au coin d’un feu. Et on écoute ses textes qu’il dit plus qu’il ne chante, ses chuchotements deviennent des portes ouvertes, ses trémolos des regards bienveillants (Nick Cave ?). Steve nous parle dans son silence. Ses poèmes sont abstraits, son accompagnement musical l’est tout autant et pourtant on se sent dans le périmètre de ce feu et de ses flammes orangées. C’est la chaleur qui nous enveloppe alors qu’on laisse un regard voguer dans un crépuscule déjà trop entamé. La présence du chanteur se fait plus prégnante. De voix, il devient une présence alors qu’on tourne la tête et pourtant les intonations de Steve vont se faire plus lointaines et indirectes. Il faut bien que quelqu’un s’éloigne… Steve Von Till est sorti de son isolement, il a préparé un environnement, joué une folk qui n’en est pas et s’en est allé.

Steve Von Till No Wilderness Deep Enough Band 2

No Wilderness Deep Enough est sa sortie la plus abstraite, un album aussi épuré que riche dans ses textures, la voix et les arrangements ne faisant plus qu’un. Un véritable moment d’évasion qui laisse respirer, qui laisse sentir et dont chacun et chacune y trouvera son interjection, chamanique ou introspective, contemplative ou spectrale, son rêve quoi…

https://www.vontill.org/

 

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