Shibassy – Clean Ears
Autoproduction
2017
Shibassy – Clean Ears
Après Ghost And Children, sautillant premier album sorti il y a un an, Shibassy revient avec Clean Ears. En apparence plus facile d’accès que son précédent opus, Clean Ears nous force encore une fois à plonger au cœur de nos émotions, de nos contradictions, de nos expériences et finalement de notre inconscient. Si Ghost And Children était un album-concept assez joyeux sur l’enfance, Clean Ears est plus sombre et porte sur l’étape d’après. Plusieurs thématiques s’entrecroisent : l’émerveillement de l’enfant devenu adolescent puis jeune homme, mais aussi le dégoût et le rejet de ce monde qui nous est offert et qui ne nous propose rien de bon. Alors autant aller rechercher un monde parallèle, avec des plaisirs naturels ou artificiels… et finalement revenir à la réalité parce qu’il faut bien faire des choix et vivre cette vie…
L’album débute donc sur le très enlevé « Hate The Sun ». L’enfant a grandi mais il reste espiègle : « Je n’aime pas le soleil, je n’aime pas la plage » mais ce qui était accepté de la part de l’enfant ne l’est plus une fois devenu adulte. Parce qu’il faut bien se conformer aux bonnes manières… On retrouve cette voix particulière, haut perchée, qui nous emmène et nous promène tout au long de ces morceaux à l’univers très personnel. Elle peut rappeler par moments celle de Roger Hodgson (on peut se surprendre à penser à Supertramp !), mais aussi les envolées de Peter Gabriel dans ses premiers disques solos, le chanteur des Bee Gees, ou encore, plus proche de nous, le feeling d’un Rover, ou la voix du leader de Bon Iver, Justin Vernon. « Thank You », dans la lignée de Ghost And Children est un regard moqueur sur la vie. « Ah bon, c’est ça cette vie que vous me proposez ? Écoutez, tout ce que j’ai à dire c’est merci, très peu pour moi ! » Les trois morceaux qui suivent sont les premiers d’une prise de conscience sur la réalité : « Parfois j’ai l’impression que ma vie a été écrite par Edgar Allan Poe… Finie l’enfance, tu dois suivre ton chemin, déterminé ou pas… » Chanson introspective, envoûtante, « Ed Allan Poe » est un des morceaux les plus personnels de l’album. Puis, « There’s Always A Time » et « Clean Ears » : il y a toujours un moment où tu vas devoir tuer quelqu’un symboliquement, ou être tué. Une séparation, une amitié… Mais tu en ressortiras plus fort. « Clean Ears » n’est pas sans rappeler le Prince de Lovesexy avec sa voix de fausset. Justement dans ce monde, il faut impérativement garder les oreilles propres et les idées claires et pures…
« Enjoy The Show » est le dernier rappel de l’ancien Shibassy en mode Ghost And Children : « Voilà c’est le grand soir ! C’est bien ce que vous vouliez avec tout ce qu’il y a de plus superficiel ? Eh bien, tout est là ! C’est pour vous ! Enjoy the show ! Profitez du divertissement ! » « Right After That », assez new wave dans l’esprit, est un moment très réussi : « Après tout ça, rien ne sera comme avant. La réalité est là, figée. Je peux m’éloigner pour continuer à vivre mais plus comme avant, tout change tout le temps, y compris moi. » « The Day I Understood » est assez poignant : « Je me suis réveillé une nuit, des proches venaient de mourir et je ne sentais plus mon cœur battre. J’étais vivant ? Mort ? Je suis sorti et j’ai couru tout autour de mon pâté de maisons, à en être époumoné juste pour sentir si mon cœur battait encore. » Difficile de rester complètement joyeux et insouciant le jour où tu comprends que tout a une fin… Musicalement, il y a du Genesis période post-Gabriel, du Tony Banks dans ces notes magiques.
Ensuite vient une trilogie sur cet endroit que Shibassy garde secret et qui lui permet de continuer à vivre… Cet endroit, « Holy Secret Place », est « un lieu magnifique mais attention il n’y a pas de place pour les autres, c’est dangereux pour les étrangers ». Shibassy nous invite en nous disant attention c’est beau mais danger. « Over There » est peut-être la chanson la plus triste de l’album, marquée par la mort d’un ami. « Là-bas, tout est tellement plus simple, je te reverrai là bas. D’ailleurs, on y est tellement bien… » Là aussi, on se retrouve proche d’un Genesis fin 70’s… Une belle intro pour « Paradise In My Mind » qui n’est pas sans rappeler Jeff Buckley. Mais de quel paradis parle-t-on ? L’alcool, la drogue ou l’art ? L’avant-dernier titre, « For My Girl », est une chanson-rédemption. « OK je mets de côté mes rêves et tout ce qui me faisait tenir. Je reviens dans la réalité. Mais je le fais uniquement pour celle que j’aime. Je serai un super-héros sans pouvoirs, mais aussi sans regrets ! » Avec une superbe intro et à noter un beau solo de guitare. Pour terminer l’album, une partie instrumentale marquée par l’univers de Tim Burton qui semble nous dire : « Je veux bien revenir du côté de la réalité mais je garde en moi cet univers féerique…»
Shibassy dit qu’il compose toujours ses albums en pensant que « c’est peut-être le dernier alors je n’ai pas le temps de mentir et de tricher ». Clean Ears est hyper travaillé, cohérent, présente un univers original et assez unique il faut bien le reconnaître. À écouter et réécouter avec des oreilles… propres… et ouvertes !
Mario Micaletti & Fred Natuzzi