Sealionwoman – Nothing Will Grow In The Soil
The state51 Conspiracy
2024
Lucas Biela
Sealionwoman – Nothing Will Grow In The Soil
Avec Sealionwoman, ce n’est pas de Bob Sinclar que je vais vous parler mais d’un duo expérimental. Sealionwoman ne fait en effet pas référence au morceau du DJ, mais à la légende des Selkies, ces créatures mi-femme, mi-phoque issues de l’imaginaire écossais. Celles-ci, quand elles perdent leur revêtement aquatique, peuvent se voir contraintes de se soumettre aux hommes et fonder une famille avec eux. En revanche, si elles retrouvent leur peau sous-marine, elles peuvent reprendre le contrôle de leur vie en quittant l’homme et les enfants. Cette référence permet d’aborder des sujets comme le contrôle, la soumission, la perte et la vengeance. Après Siren, un premier album salué par la critique et qui avait demandé près de huit ans de travail, voici notre entité chimérique revenue avec Nothing Will Grow In The Soil, un disque tout aussi fascinant.
Mais avant d’aller plus loin, qui sont Sealiowoman ? Il s’agit en fait de Kitty Whitelaw au chant, et de Tye McGivern à la contrebasse et aux effets. La première, par sa voix à la fois hypnotique et ensorcelante, a été comparée à Mina Agossi et Diamanda Galás. Le second crée des atmosphères à la fois mystérieuses (on parle quand même de mythes et de légendes !) et immersives (le milieu aquatique a son importance ici). Ainsi, l’auditeur se verra naviguer entre des eaux troubles, d’autres plus claires, et enfin d’autres limpides. Regardons d’abord comment se présentent les atmosphères orageuses. D’entrée de jeu, « Two Sisters » nous accueille sous des cieux menaçants, accentués par le bruit obsédant de coupes d’arbres. La voix porte une gravité mortifère, la même qu’empruntait le regretté Scott Walker pour nous conter son désespoir. C’est sur un ton solennel et éploré que « Charcoal » met à nouveau à l’honneur les accents mortifères de la voix. Les pas lents de la contrebasse initient une marche funèbre qui passera le relai à une dissonance abasourdissante et marquant une descente inéluctable aux enfers. A nouveau sur un rythme de marche funéraire, c’est du monde des morts (ce chant d’un sinistre saisissant !), que les échos plaintifs de « It Rides A Horse » cherchent à se libérer.
À d’autres moments, le ciel peut être encore bien nuageux mais des éclaircies le dégagent partiellement. Ainsi, avec « Butcher’s Broom », quand une brume épaisse et angoissante (ah, le courroux terrifiant de cette contrebasse tout droit sortie de l’enfer !) se forme, c’est en revanche la félicité qui semble s’emparer de la voix. Des motifs gutturaux s’accordent cependant avec le climat ambiant pour des effets de clair-obscur remarquables. Avec « Wise Woman », autre morceau jonglant entre ombre et lumière, c’est sur un rythme en ricochet que le chant lugubre rebondit en s’illuminant au loin. Voici encore un bel exemple de la versatilité de Kitty. Dans « Crown Shyness », on verra l’espoir renaître dans ce chant où se mêlent douceur et délicatesse. Mais en arrière-plan, le signal vocal lamenté et les cordes dubitatives, en fixant une limite à ne pas franchir, s’érigent en gardiens des ténèbres. Enfin, dans tout ce dédale de noirceur et de clairs-obscurs, la lumière peut se frayer un passage et triompher. Ainsi, sur « River », à travers les petits pas feutrés de l’instrument à cordes et les effets d’écho du chant, on assiste à un jeu divertissant entre les partenaires. L’ambiance se détend. « Bracken » va encore plus loin dans les ouvertures lumineuses. Les cordes y creusent en effet le ciel pour écarter les nuages et la voix jaillit tels des rayons éblouissants. La voie est libre pour porter la musique au firmament.
A l’image des Selkies dont ils s’inspirent, Sealionwoman sont une véritable chimère où une voix inspirée mais tantôt emprise aux doutes, tantôt exaltée, baigne dans des ambiances le plus souvent tourmentées. Dans un écrin minimaliste mais viscéral, le duo arrive à rendre son propos attrayant et susciter de nombreuses émotions. Espérons que leur univers si particulier saura conquérir le cœur du plus grand nombre.
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Merci pour la critique,
Sealionwoman