Sarah-Jane Summers – Virr
Dell Daisy Records
2017
Sarah-Jane Summers – Virr
Autant vous le dire d’entrée, ce Virr de Sarah-Jane Summers est un album expérimental, très expérimental même. Pourtant Sarah-Jane Summers est a priori une violoniste tout ce qu’il y a de plus folk. En effet, originaire des rudes contrées de l’Écosse, elle a appris le violon auprès de l’immense Donald Riddell, et possède donc à la perfection le style si mélodique et dansant de cette région. Mais habitant désormais en Norvège, elle a aussi acquis une profonde maîtrise du jeu du violon traditionnel de la belle Norvège et plus généralement de la Scandinavie. Boulimique de son instrument, et également surdouée, il faut bien l’avouer, Sarah-Jane Summers ne s’est pas privée de pousser son archet jusqu’au jazz, au blues, au rock et même jusqu’à des mélodies tout à fait pop. C’est assez décrire que le jeu de Sarah-Jane Summers, planté sur des bases extrêmement solides, ne se fixe aucune limite. C’est aussi avec constance et passion qu’elle arpente toutes les scènes qui lui sont ouvertes, offrant immanquablement au public un véritable festival de danses, de classiques et d’improvisations superbement jouées, avec grâce et finesse.
Il arrive cependant à Sarah-Jane Summers d’avoir des fourmis dans les doigts et de ne pas se contenter des applaudissements glanés lors de ces concerts et des récompenses qui lui sont décernées année après année. C’est que la Dame aime également dépasser son style, son jeu et ses bases. Sarah-Jane Summers adore oser l’impensable sur son violon, quitte à ce que son instrument se mette à délivrer des sons en apparence totalement étrangers à l’objet en question. Dès lors la Dame s’adonne aussi aux scènes noise et expérimentale avec application et grand succès. C’est dans le même esprit que paraît Virr. Virr, vous l’aurez donc bien compris, n’est pas l’album sur lequel vous danserez en boîte ou que vous écouterez négligemment en filant droit sur l’autoroute. Certainement pas. Car Virr vaut bien mieux que cela. Virr, pour ceux et celles qui veulent la comprendre, est une leçon. Le fondement en étant, pour contrer d’un trait une légende tenace, que pratiquer l’expérimental n’est pas faire n’importe quoi. Bien au contraire.
Quel que soit le morceau que vous pourriez écouter de Virr, il y aura le geste, cette gestuelle parfaite de Sarah-Jane Summers sur son violon. Le mouvement de l’archet est maîtrisé, l’attaque de la corde voulue ainsi, les notes jouées toutes calculées. C’est inhabituel à l’oreille, certes, mais le hasard et le foutraque n’y ont pas leur place. Dans chaque morceau, il y a toujours une intention évidente, une direction, une stratégie de jeu, différentes à chaque fois, mais précisément conçues aussi bien que menées. Même les titres de chaque morceau ont été consciencieusement pensés, à commencer par celui qui donne son nom à l’album, « Virr ». Cela signifie vigueur, force, énergie. Ceci annonce donc clairement la couleur. L’écoute de cet album ne sera pas un long fleuve tranquille. Il y a pourtant des moments relativement calmes dans Virr, et même des instants lumineux. Comme dans « Vender », dérivant des mélodies plaintives écossaises, et « Aftak », qui se fait l’écho de la mélancolie commune à la plupart des chansons gaéliques.
Mais je parlais de leçon. Pour la saisir clairement, posons les choses de cette manière. Quand on apprend le violon, on apprend à en jouer « comme il faut ». On fixe bien le doigt ici, on prend son archet comme ça, et ainsi de suite. Pendant des années. Bien rester dans les clous, surtout ne pas s’écarter du chemin. Sauf que de cette façon-là, il est impossible d’entendre, de comprendre, de s’emparer de tout ce qu’un violon sait faire. Avec Virr, Sarah-Jane Summers accomplit donc le chemin inverse. Elle nous donne à entendre, avec une gestuelle parfaitement maîtrisée, tout ce dont un violon est capable, et c’est impressionnant. Et elle semble nous dire muettement à la fin de l’album, au travers d’un étrange sourire : « Voici tout ce dont on vous prive habituellement concernant le violon. Mais vous savez désormais que c’est possible, qu’un violon peut le faire. Vous n’êtes pas obligés d’aimer tous les sons que vous venez d’entendre. Pourtant ils sont en vous maintenant et plus jamais vous ne regarderez ni n’écouterez un violon comme par le passé. »
Frédéric Gerchambeau