Ruthven – Rough & Ready

Rough & Ready
Ruthven
Paul Institute
2024
Lucas Biela

Ruthven – Rough & Ready

Ruthven Rough & Ready

Lord Ruthven est un des premiers vampires de la littérature anglaise. Néanmoins, ce n’est pas lui dont il est question ici mais d’un artiste dont la force est de mettre sur le même plan des ambiances contemplatives et des musiques chaloupées. Et finalement, il n’est pas vain de faire un parallèle entre le sang dont le personnage fictif s’abreuve à la tombée de la nuit pour entretenir son immortalité et les influences que notre Ruthven contemporain puise pour faire passer son œuvre à la postérité.

Ainsi, notre ancien pompier allume-t-il le feu autant qu’il l’éteint. Cette versatilité peut s’exprimer à travers les claviers. Dans la marche hésitante « Dont Keep It To Yourself » par exemple, ceux-ci goûtent avec excitation à la liberté quand ils ne font pas profil bas dans leur cellule mélodique. Ce besoin d’évasion se retrouve à nouveau dans les notes furtives d’« Itch ». La synthèse parfaite de R’n’B soyeuse et d’émotions confuses que représente « Thru The Walls » présente également un idéal de liberté dans les scintillements féériques. Quand ils ne s’émancipent pas, les synthés aiment consoler. Ainsi, dans « Afterglow », portent-ils le réconfort du ciel dégagé d’une nuit de printemps qui viendrait petit à petit se consteller. Tout au long de cette pièce aux ambiances planantes (« It’s like I’m floating » s’exclame notre maestro), la tendresse nous transporte dans une rêverie douce. Toujours dans l’empathie, les claviers de « Thru The Walls » réconfortent les falsettos autant qu’ils les accompagnent dans leur chagrin. Avec « Dont Keep It To Yourself » les échos affectueux vont même jusqu’à envelopper l’ensemble de velours. Les touches noires et blanches parviennent aussi à colorer l’univers de notre vampire des temps modernes à travers une palette très riche de sons. Ainsi, autour des motifs sautillants de « P.O.V. », des notes toutes plus diverses les unes que les autres éclosent comme un printemps qui s’éveille. De même, aux alarmes chamarrées de « Space = Time = Money » répondent des lignes aux teintes plus effacées. Ensuite, ce sera au tour de néons futuristes fluorescents d’y briller.

Ruthven Rough & Ready Band 1

La voix, c’est aussi elle qui nous plonge dans un univers où mystère et amusement se prennent par la main. Ainsi, les chœurs chaleureux de « Cautious » composent-ils avec un chant saccadé qui alimente le côté groovy de la pièce. Et comment ne pas être ému quand les accents attentionnés du chant de « Drive It » partagent doute et douleur. Ailleurs, sur une cumbia entraînante aux synthés pompiers (on en revient à l’ancienne activité de notre compositeur), « Indulge » est au carrefour de tous les types de voix. Chant saccadé, voix en canon, chœurs touchants, falsettos enlaçants et même les « oh oh oh – oh » de la bossa nova, que de bonheur pour les professeurs de chant ! Et ce morceau est loin d’être un cas isolé puisque cette profusion de voix est un des ingrédients du succès de Rough & Ready. Comme avec l’instrument fétiche de notre Londonien, la versatilité est de mise dans le chant. Prenons l’exemple du concentré de black music qu’est « I Can’t Go There ». À la voix douce bordée de chœurs duveteux répondent des à-coups alertés quand les sursauts affolés des claviers et les appels désorientés de la guitare perturbent la quiétude ambiante. Dans un funk plongé dans la réflexion, ce sont par ailleurs différentes intonations aux débits variables qui enchantent « Itch » autant qu’elles l’enivrent. Entre calme et agitation, le chant saccadé de « Don’t Keep It To Yourself » parvient également à captiver. Et sur « Thru The Walls», c’est au tour des falsettos de nous surprendre. Tantôt plongés dans la douleur, tantôt baignant dans l’allégresse, ils contribuent largement à la beauté incandescente de ce voyage musical. En outre, en faisant coïncider des voix de tête apeurées et des chœurs consolants, le chant a cappella de « The Window » tire sur la corde sensible.

Ruthven Rough & Ready Band 2

J’évoquais l’aptitude de notre talentueux Anglais à mêler atmosphères intimistes et musiques chaloupées. Il est cependant des moments qui torpillent quelque peu cette conciliation. Avec « 123 », les ambiances réflectives sont en effet délaissées au profit d’une légèreté insouciante comme celle que l’on pouvait entendre sur le fameux tube « Don’t You Want Me » de Human League. Seuls quelques esprits hantés et tribaux maintiennent le lien avec le monde contemplatif. Le travail de basse y est néanmoins remarquable, nous plaçant à la fois sur un nuage douillet et une piste de danse enfumée. De même, alors que la première moitié de « The Window » met l’accent sur le volet contemplatif, la suite, à l’image de « 123 », ne parvient pas à rétablir l’équilibre entre réflexion et rythmes entraînants qui court tout le long de l’album. Ces faux pas seront cependant vite pardonnés au regard de la sensibilité qui traverse Rough & Ready par ailleurs.

Faisant entrecroiser avec brio ambiance intimiste et allant, Ruthven présente avec son premier album, Rough & Ready, un monde touchant et sincère. Espérons que l’autre monde, celui à qui il s’adresse, lui en saura gré.

https://www.facebook.com/RuthvenReady

https://ruthven.bandcamp.com/

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