Roy Harper – Live In Concert At Metropolis, London
Roy Harper
Union Square Music
Roy Harper est une légende vivante. Et pourtant, peu sont ceux en France qui en ont entendu parler, alors qu’il a marqué l’histoire du folk et du rock. Ce live, enregistré en 2011, voyait Roy Harper revenir sur scène, à 70 printemps, alors qu’il ne faisait plus de tournée depuis 10 ans, tout juste 1 concert par à un festival de folk en Irlande ! Ayant pris plaisir à rejouer ces chansons live, il a accepté l’invitation de Joanna Newsome, jeune harpiste au talent impressionnant (voir les albums « Ys » et le triple « Have One On Me »), à venir faire sa première partie. C’est ainsi que j’ai pu assister à 40 minutes grandioses, intense, d’intelligence et de brillance musicale, l’année dernière, lors de sa venue à Paris ! Roy Harper est pour moi, un acteur majeur de la musique contemporaine, une influence énorme des plus grands noms du rock, qui le citent d’ailleurs en référence, que ce soit l’avant-garde folk Fleet Foxes, ou Joanna Newsome, comme les plus vénérables Kate Bush, Anathema, Jeff Martin, Led Zeppelin, Pink Floyd ou Ian Anderson.
Revenons un peu sur l’histoire de ce grand monsieur. Voulant s’émanciper du cocon familial où il n’était pas heureux, Roy Harper décide d’entrer dans l’armée anglaise à 15 ans. Mais sa personnalité ne lui permet pas de s’y épanouir non plus, tant et si bien qu’il feint d’être fou, pour échapper à la vie militaire. Il y arrive si bien qu’il est interné et subit des sessions d’électro choc. Il en ressort plus que jamais remonté contre la société et c’est … la prison qui l’accueille ! Là bas, il découvre Nietsche, Kerouac, et les grands poètes anglais. C’est par ses lectures qu’il commence à écrire des chansons. Après deux premiers albums en 1966 et 1968, « Sophisticated Beggar » et « Come Out Fighting Ghengis Smith », qui établissent Roy Harper comme une grande figure folk anglaise avec un jeu de guitare impressionnant de maîtrise et un son et une manière de jouer qui influencera Ian Anderson dans Jethro Tull, il commence à tourner et se retrouve au festival de Hyde Park à Londres en compagnie des débutants Pink Floyd, T-Rex et Jethro Tull. Dès lors, il se retrouve estampillé culte et se construit une communauté de fans. 1969 : « Folkjokeopus » contient « One For All », titre fabuleux de 8 minutes sur lequel Roy Harper parfait son style folk progressif, ainsi que le célèbre « Mc Goohan’s Blues », premier épic de 18 minutes !
Il signe ensuite chez Harvest, le label progressif de EMI, comme Pink Floyd. The Nice, le groupe de Keith Emerson, participera à l’album « Flat, Baroque and Bersek » en 1970. De leur côté, Led Zeppelin sortent un morceau sur leur album « III » intitulé « Hats Off To Roy Harper », tellement son jeu de guitare impressionne Jimmy Page lui-même. Leur amitié donnera une collaboration artistique sur plusieurs albums, dont le chef d’œuvre « Stormcock » en 1971, où Roy Harper, en seulement 4 titres, étonne, amuse, impressionne, fascine. C’est le disque du maître à posséder absolument ! Il fait l’acteur dans le film « Made », et enregistre les morceaux écrits pour le film sur « Lifemask » en 1973, auquel participe encore Jimmy Page. L’année suivante, pour promouvoir « Valentine », il donne un concert avec Jimmy Page, Keith Moon, John Bonham et Ronnie Lane. Puis en 1975, il forme l’éphémère groupe Trigger qui regroupe Dave Cochran, Chris Spedding et Bill Bruford, et qui donnera le très bon album « HQ ». Pendant l’enregistrement de ce disque, Pink Floyd est dans l’autre studio et n’est pas satisfait de « Have A Cigar » pour « Wish You Were Here ». Ils demandent alors à Roy de chanter sur le morceau. Cela a donné le classique que tout le monde connait ! Sur « Bullinamingvase », il se paye le luxe d’avoir aux chœurs Paul et Linda McCartney, tandis que Kate Bush reprend « Another Day », en compagnie de Peter Gabriel.
L’album suivant, « Commercial Break », ne sortira finalement que 10 ans plus tard pour une sombre affaire de fâcherie avec la maison de disque, ce qui amène Roy à voler de ses propres ailes, par la force des choses. 1980 voit la sortie de « The Unknown Soldier » sur lequel on retrouve David Gilmour et un très beau duo avec Kate Bush, « You ». « Work Of Heart » sort en 1982, et devient un double album lors de sa réédition, « Born In Captivity / Work Of Heart », le premier étant la démo du second : on y retrouve quasiment les mêmes morceaux, mais dans l’un, uniquement en acoustique, dans l’autre, avec un groupe. Les deux albums sont complémentaires et passionnants, pour moi, un classique du bonhomme, avec un titre de 20 minutes étourdissant de maîtrise, « Work Of Heart ». « Whatever Happened To Jugula » en 1985 est carrément signé Roy Harper et Jimmy Page ! Sur celui-ci, on retrouve le titre « Hope », repris quelques années plus tard par Anathema. Fait marquant sur « Descendants Of Smith » en 1988, la présence de son fils Nick, aussi doué que son père, à la guitare. Nick Harper est également un artiste à suivre, plus fantaisiste dans ses albums, avec une virtuosité époustouflante. Les années 90 arrivent avec les albums « Once » où reviennent les fidèles Gilmour et Bush, « Burn The World » de 19 minutes, version studio et version live, et « Death Or Glory » et son splendide hommage à Miles Davis, « Miles Remains ». En 1998, « The Dream Society », concept introspectif, invite Ian Anderson à la flûte, tandis que sur le dernier album studio de Roy, « The Green Man » paru en 2000, Jeff Martin de The Tea Party, y figure sur quasiment tous les titres et co-écrit un morceau. Pour Jeff Martin, Roy est l’une des plus grandes figures musicales du 20ème siècle, on entendait sa voix à la fin du sublime « The Edges Of Twilight », et il l’avait par ailleurs invité sur le EP « Alhambra » avec l’excellent « Time », déjà co-écrit avec lui, magnifique chanson rock où s’envolait la voix de Roy. Il avait d’ailleurs pris conseil auprès de lui lorsqu’il s’est séparé du groupe et exilé en Irlande…
Une retraite de 9 ans plus tard et on annonce un nouvel album, mais rien ne semble venir. Roy Harper fait la première partie de Joanna Newsome, revient fêter ses 70 ans (avec Joanna Newsom, Nick Harper et son vieil ami Jimmy Page en guests !), et quelques concerts exceptionnels, comme celui-ci donc, qui parait sous forme de CD et DVD. Autant dire que c’est une pépite, surtout que le bonhomme, avec l’âge, donne une sérénité et une maturité à ses chansons, et sa maîtrise de la guitare est tout simplement à tomber par terre. Il passe en revue les meilleurs moments de sa carrière, 12 titres qui vont de l’amusant au profond, de la folk au progressif. Le singer songwriter nous enchante, nous émeut et nous fascine pendant 1h20 où les gens l’écoutent religieusement. Pourtant farouchement anti-religion, c’est avec délectation que Roy Harper confiera dans l’interview bonus, sa joie d’avoir retrouvé le public, même si pour lui, il n’a pas été si bon que ça dans la deuxième partie du set ! Cette interview, indispensable, montre à quel point Roy Harper, à 70 ans passés, n’est pas revenu de tout, est toujours aussi politiquement engagé, sociologue de notre temps pour qui l’humanisme est une qualité fondamentale. Roy Harper ne réarrange pas ses morceaux ; au contraire, toute son écriture se veut témoignage. Il les livre tels quels, ces bijoux, comme les 10 minutes repoussant plus loin les limites de la guitare acoustique de « One Man Rock And Roll Band » et les 13 minutes aventureuses de « Me And My Woman », tous deux tirés de « Stormcock », la splendide « Twelve Hours Of Sunset », de « Valentine », tout comme le classique « Commune », le mythique épic « Highway Blues » de « Lifemask », et l’émouvant « When An Old Cricketeer Leaves The Crease », seule chanson sur le cricket, qui tend à l’universalité !
Roy Harper est un artiste qui mérite d’être écouté et entendu, mais aussi lu, beaucoup de ces chansons sont aussi des poèmes. Et puis, si vous aimez la guitare, c’est le moment d’halluciner sur un jeu sans pareil, technique et atmosphérique, repris et poussé vers la pop par son fils Nick. De père en fils, la famille Harper vous interpelle depuis 1966 !
Fred Natuzzi (10/10)