Rose City Band – Garden Party
Thrill Jockey Records
2023
Thierry Folcher
Rose City Band – Garden Party
Ma première expérience avec Rose City Band, je l’ai eue en écoutant « Wee Hours », un titre de Summerlong, leur second album sorti en 2020. Au début, la parenté avec « Sultans Of Swing » de Dire Straits était presque gênante, mais petit à petit, la véritable identité du groupe a pris le dessus et son cocktail country-folk-psyché s’est vite imposé de façon magistrale. C’est vrai que la rythmique entêtante semblait plus ou moins familière, mais pour le reste, c’était ultra-convaincant et sans flash-back. La façon dont la musique s’étirait et déroulait son feeling valait vraiment la peine qu’on s’y attarde et du coup, je ne me suis pas fait prier pour m’intéresser de plus près à ce projet signé Ripley Johnson, autre figure marquante de la scène de Portland. En effet, Rose City Band est, lui aussi, originaire de cette grande ville de l’Oregon bien connue pour ses artistes, ses espaces fleuris et sa multitude de studios d’enregistrement. Ripley Johnson (également présent chez Wooden Shijps et Moon Duo) est un autodidacte, profondément inspiré par les doux moments de la vie au grand air propices à la lenteur, à la mélancolie et au détachement. Sa voix douce ainsi que son jeu de guitare aérien nous prennent là où ça calme et bien sûr, aucune résistance n’est possible. Une fois pris dans la nasse, il y a peu de chance qu’on veuille en ressortir. Garden Party est le quatrième opus du groupe et se définit comme une célébration de l’été et du contact retrouvé avec la nature. C’est plein d’ondes positives qui font du bien et qui débordent sur tous les visuels colorés qui accompagnent le disque. Le rapprochement avec l’imagerie de la scène psychédélique du début des années 70 est évident et certainement voulu. Je pense qu’on aura du mal à se défaire un jour de ces influences du passé tellement elles sont à l’opposé de tout ce que l’on subit aujourd’hui. Les sourires affichés, les libertés en tout genre, l’amour de son prochain, la promesse de lendemains qui chantent et même une certaine naïveté bienfaitrice, tout ça a existé et transpire aujourd’hui dans les compositions de Ripley Johnson.
Earth Trip, l’album précédent, démarrait tout doucement en compagnie des réminiscences dylaniennes de « Silver Roses ». Changement radical de décor avec Garden Party et son ouverture pied au plancher intitulée « Chasing Rainbow ». Jolie ballade bucolique où la Pedal Steel de Barry Walker fait un malheur et appose d’entrée la marque indélébile de ce country-rock éternel. Sur sa lancée, le voyage continue à vive allure avec « Slow Burn », un genre de road trip plein d’entrain et passablement allumé. Première occasion aussi de vérifier l’extrême agilité de Ripley Johnson à la guitare. Son association avec Barry Walker est tout simplement parfaite et une grande partie du disque va bénéficier de ce tandem aussi virtuose que complémentaire. Maintenant, je vous vois venir avec vos remarques du style : « mais on l’a déjà écouté mille fois cette musique ! » et je vous répondrai : « Et alors ! Moi ça ne me dérange pas de l’écouter mille fois de plus ». Et puis ici, c’est l’avenir, on est dans un autre contexte, avec une production plus moderne et des musiciens pleins d’enthousiasme qui entretiennent la légende. À aucun moment, je n’ai pensé qu’il valait mieux se remettre un bon vieux J.J. Cale, Ry Cooder ou Tom Petty et ignorer complètement ces nouveaux venus au potentiel vraiment intéressant. Tout est bon à prendre, que ce soient les anciennes gloires et les nouvelles figures d’un genre qui, lui, ne bouge pas et c’est tant mieux. Le côté rassurant c’est que la tradition perdure et que le public soit toujours là. Le monde de Ripley Johnson est plein de roses (c’est normal, on est dans la cité des roses), de jardins, de souvenirs ensoleillés et cela se voit encore sur cet album au charme instantané.
Après la petite poussée d’adrénaline précédente, « Garden Song » arrive au bon moment pour renouer avec la langueur et l’insouciance qui caractérisent si bien nos amis de Portland. Cette chanson de jardin est d’une simplicité confondante et le message, on ne peut plus clair : « In a garden we’ll grow the sun on the inside, feel the love and the stars align… » (Dans un jardin, nous ferons pousser le soleil à l’intérieur, ressent l’amour et les étoiles s’aligneront…). Si c’est pas de la belle poésie hippie ça ! La plongée dans l’univers halluciné (on sait tous pourquoi et comment) du glorieux flower power nous fait monter les larmes aux yeux. À l’époque, l’humanité avait appuyé sur le bouton pause, mais hélas, pour très peu de temps car les mauvaises habitudes ont vite repris le dessus. Alors, lorsque l’enivrant parfum du Rose City Band nous arrive aux narines, c’est tout un décor fabuleux qui reprend vie avec ses outrances et sa bonhomie. Retour au disque avec « Porch Boogie », grand moment de communion où notre ami Ripley invite tout le monde à passer sous le porche (dans le bon sens, comme il dit) pour vivre pleinement le bonheur des choses simples. C’est sûr, il y a de la répétition dans le concept mais parfois, il faut savoir insister pour arriver à convaincre. Côté musique, le rythme est entraînant en diable avec une batterie métronomique (John Jeffrey) et quelques claviers alertes qui rappellent un peu les Doors (Paul Hasenberg). Ici aussi, la guitare se charge d’amener tout ce beau monde dans le sens d’une irrésistible procession à laquelle on s’accroche volontiers. Nous venons de vivre un moment fort, idéalement situé au milieu de l’album, mais dont la majesté écrasante sera préjudiciable pour la suite. C’est « Saturday’s Gone » qui en fait les frais et qui endosse le rôle peu enviable d’une banale transition pour préparer l’autre sommet du disque au nom évocateur de « Mariposa ». La poésie de cette chanson est universelle et la symbolique du papillon (mariposa en espagnol) qui renaît à la vie pour s’envoler et éclabousser le monde de sa beauté, toujours aussi porteuse. Les mots de Ripley sont assez ouverts pour qu’on puisse en faire sa propre interprétation et s’identifier, pourquoi pas, à ce concept de renouveau forcément attrayant. La chanson est superbe avec seulement deux accords de guitare et un chant léger pour commencer, puis quelques notes de mellotron en guise de garniture et enfin, un bel envol rythmique capable de nous faire onduler et rendre la chose très sensuelle. Tout le long, la guitare garde la main et nous accompagne gaiement du début jusqu’à la fin. Une autre éminence vient de s’ériger, mais celle-là sera sans conséquence pour ce qui vient après. Avec « Monnlight Highway » le tempo reste élevé, le moteur s’emballe et la folle expédition avale rondement le bitume au clair de lune. On est sur la route et le vœu de Ripley est d’amener très vite Garden Party en tournée, car ses chansons ne pourront véritablement s’accomplir que sur scène. Le titre est intéressant avec son rythme saccadé et sa partie de synthé (Sanae Yamada) en parfait enrobage psychédélique. La musique a changé de direction et la fin du disque prend une tournure inattendue, surtout que « El Rio » se présente comme un juste prolongement à cette virée en bagnole aux multiples surprises. Ces deux derniers morceaux n’en font qu’un et peuvent offrir plus de douze minutes de transe en concert. Mais cela ne m’étonnerait pas qu’ils aillent plus loin et se transforment en une interminable jam comme c’était le cas au bon vieux temps.
Avec Garden Party, Rose City Band signe un superbe album qui ravira les fans de country-rock majestueux et qui pourrait (mais ce sera plus compliqué) satisfaire n’importe quel quidam sensible à la beauté d’un coucher de soleil, aux longues contemplations de la nature et aux road trips interminables sur des routes désertes et parfumées. Quatre albums plus tard, ce projet signé Ripley Johnson semble bien parti pour devenir une référence musicale avec laquelle il faudra compter. Seulement voilà, je ne sens pas le bonhomme accro au succès et à la reconnaissance. Et même si je peux me tromper, il semble se satisfaire de son trip écolo et il a bien raison. Juste un dernier mot pour vous signaler que la tournée 2023 du Rose City Band évite soigneusement la France. Quasiment tous les principaux pays européens sont visités sauf le nôtre. Il y a vraiment quelque chose qui ne tourne pas rond chez nous…