Robin Trower – Come And Find Me
Provogue
2025
Thierry Folcher
Robin Trower – Come And Find Me
Les plus anciens connaissent bien Robin Trower. Ils se rappellent surtout ses débuts chez Procol Harum, le fameux groupe de Gary Brooker à l’origine du dévastateur « A Whiter Shade Of Pale », considéré par beaucoup comme une des plus belles chansons pop de tous les temps. Les plus anciens savent aussi que ce fier guitariste possède une impressionnante carte de visite avec près d’une trentaine d’albums solos à son actif, auxquels s’ajoutent quelques belles collaborations en compagnie de Bryan Ferry et de Jack Bruce notamment. Robin Trower vient d’avoir 80 ans et Come And Find Me, son tout dernier passage en studio, ne semble pas être marqué par le poids des ans. Bien au contraire, la dextérité, le feeling, la niaque et la foi en cette musique éternelle sont toujours là. Les onze titres de ce nouvel album n’ont pas la prétention de révolutionner quoi que ce soit, ils ne sont que le prolongement d’une carrière entièrement vouée au rock, au blues et à la chanson dans ce qu’ils ont de plus authentique. Par contre, ne vous attendez pas à lever les sourcils et à vous demander ce qu’il se passe. Ici, la route est balisée et sans nids de poule. La musique de Come And Find Me (viens me trouver) est le genre d’invitation très direct qu’il faut voir comme une main tendue face à l’adversité. À titre d’exemple, les paroles de la chanson « Come And Find Me » sont très compatissantes et se veulent avant tout salvatrices. « I will lay down a pillow for your soul … », « When the music starts let it play on… » (Je déposerai un coussin pour ton âme…, Quand la musique commence, laisse-la jouer…). Une dernière recommandation bien inutile, car il me paraît dommage d’interrompre ces 40 minutes de blues-rock gagnant.
Chaque guitariste possède son propre toucher et ses mimiques. Robin Trower n’y échappe pas et ses prestations sont la plupart du temps reconnaissables. Sur ce nouveau disque, le son de sa Stratocaster est toujours aussi puissant, bien rond, souvent couronné de wah-wah et parfaitement mis en évidence grâce à la production très sobre de Sam Winfield (David Sinclair Trio, Amber Run). Et puis, la bande de musiciens à son service ne manque pas de talent. À commencer par Richard Watts dont la voix, travaillée à la clope et au bourbon, est, à coup sûr, la meilleure compagne des coups de médiator de Mister Trower. Une association forte qui porte les couleurs de l’authenticité et d’un sacré savoir-faire. On le verra plus loin, Jess Hayes amènera un peu de diversité dans le chant et Glenn Letsch se chargera d’épauler par deux fois Robin à la basse. Une équipe de haut vol, bien soutenue par les percussions sans faiblesse de Chris Taggart (Action Patrol). Cela étant dit, et malgré ma volonté d’amener le plus possible d’oreilles sur cet album, je ne peux que constater qu’on est bien loin du monumental Bridge Of Sighs de 1974. Et si je devais choisir entre ces deux enregistrements, il n’y aurait pas photo. J’ai surtout l’impression qu’à l’époque, Robin Trower prenait son temps et laissait la musique nous surprendre grâce à d’étonnantes trouvailles mélodiques. Aujourd’hui, en écoutant Come And Find Me, j’ai le sentiment qu’on est dans l’urgence et le conformisme. Dans une façon d’écrire qui ne prend pas beaucoup de risques. Même le précédant Joyful Sky (2023) partagé avec la chanteuse blues new-yorkaise Sari Schorr est pour moi un cran au-dessus.
Qu’importe, on a affaire à du bon blues, parfaitement calibré et porteur d’une signature qu’on n’a pas le droit de bouder. Le temps est compté pour certaines légendes et il serait inopportun de faire la fine bouche. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter « A Little Bit Of Freedom », le premier titre du disque qui porte en lui tous les éléments capables de mettre en émoi les carapaces les plus endurcies. Robin demande juste un peu de liberté et qu’on ne l’enterre pas trop vite : « Don’t bury me till I’m dead… » « Cause my cries will sound like thunder… ». Tout est dit, et même si la musique n’amène pas toujours les frissons escomptés, un tel discours ne peut laisser indifférent. Ne soyons pas trop exigeants, les riffs sont propres, les solos parfaitement en place et la voix de Richard Watts au diapason. Seulement voilà, en passant les morceaux les uns après les autres, c’est face à une uniformité un peu gênante que l’on est confronté. À tel point que lorsque survient « Tangled Love » et la voix de la chanteuse Jess Hayes, cela fait un bien fou. Difficile pour moi de chroniquer un tel album. Être partagé entre un ressenti mitigé et la volonté de rendre hommage à un personnage iconique du rock n’est pas chose aisée. Comme je le disais, c’est le blues qui anime la plupart des morceaux. Les habituels plans sont très présents, mais lorsqu’on s’en éloigne, comme sur « Take This Hurt Away », les bonnes vibrations ne sont que meilleures. Ce qui accapare notre attention, c’est surtout l’extraordinaire jeu de guitare, celui qui sauve un « Capture The Life Begun » particulièrement trainard et convenu. Je peux ajouter aussi que « Without A Trace » est bien plus tonique, que le côté funky de « I Fly Straight To You » fait son job (pour moi, un des meilleurs titres du disque) et que pour finir, le poignant « Time Stood Still » n’atteindra pas totalement son but. Il lui manque juste un petit truc en plus pour être convaincant.
Avec Come And Find Me, le légendaire Robin Trower a semble-t-il voulu donner le meilleur de lui-même et son immense carrière vient de s’offrir, ce que je n’ose appeler un album de plus. Un peu à l’image des pochettes répétitives, la musique ne surprend guère et se contente d’un savoir-faire à toutes épreuves. Nous, simples auditeurs, sommes certainement très mal placés pour critiquer l’incritiquable, mais je n’ai jamais voulu me mentir et le fait de ne pas trouver cet album flamboyant ne me gêne pas du tout. Il y a de bons moments certes, mais à choisir, je préfère nettement les dernières publications de Walter Trout ou de Steve Cropper, question de ressenti. Cela dit, Come And Find Me régalera à coup sûr les amateurs de belles guitares et de musiques solidement ancrées dans un patrimoine intouchable. Avec Robin Trower, il n’y aura pas de remise en question, car il est bien trop tard pour cela et puis, ce serait complètement inutile et malvenu.