Richard Barbieri – Planets + Persona

Planets + Persona
Richard Barbieri
Kscope
2017

Richard Barbieri – Planets + Persona

Richard Barbieri - Planets Persona

L’air de rien, voici le troisième effort solo de l’ami Richard Barbieri. Pourquoi ami ? Parce que, quand on a affaire à celui qui a tenu les claviers de Japan avec David Sylvian et de Porcupine Tree avec Steven Wilson, on fait partie de mon cercle rapproché, pour ne pas dire de la famille ! Bon, je ne vous ferai pas le pitch sur le travail du monsieur avec les deux groupes suscités et/ou, par exemple, Steven Jansen (Stone To Flesh, 2015), Steve Hogarth (Ice Cream Genius, 2002 ; Not The Weapon But The Hand, 2012 ; Arc Light, 2013), sans oublier Rain Tree Crow pour n’établir qu’un florilège. L’intérêt omniprésent dans l’œuvre de Barbieri, c’est qu’il défriche inlassablement, bref qu’il progresse… Et à l’heure où le rock dit progressif est généralement tourné vers son propre nombril forgé au creux des années 70, le sieur Richard préfère, en ce début de troisième millénaire, ouvrir des espaces et étendre sa toile magique via des sonorités et des compositions toujours plus aventureuses.

Certes, en 2005, il avait déjà débuté en solo avec un Things Buried qualifié quelque temps après sa sortie de « petit bijou » par notre rôdeur éclairé, Philippe Vallin. Déjà, les fondations de Planets + Persona étaient posées, avec notamment la présence du bassiste Percy Jones (encore ici sur un titre). Stranger Inside enfonçait le clou de l’expérimentation en 2008, mais encore sans doute en réaction à la présence écrasante de Barbieri au sein d’un Porcupine Tree approchant de sa fin (qu’elle soit provisoire ou pas…). Désormais libre de faire ce qu’il veut (voir par exemple sa participation à l’album de Tim Bowness, Abandoned Dancehall Dreams en 2014), Barbieri jouit désormais à l’envi d’une liberté créative sans limite. Et c’est bien ce qui ressort d’emblée de ce nouvel opus.

Richard Barbieri

Pour ce faire, Richard Barbieri a su bien s’entourer : le batteur Kjell Severinsson (Isildurs Bane), l’extraordinaire chanteuse et saxophoniste Lisen Rylander Löve, le trompettiste de jazz italien Luca Calabrese (apparu aussi avec Isildurs Bane), le guitariste Christian Saggese, le multi-instrumentiste Grice Peters (ici à la kora), le bassiste du groupe de death metal Aktaion, Axel Croné, et enfin le vibraphoniste Klas Assarsson (Isildurs Bane). Bref, une garde resserrée et bien organisée, mais surtout une troupe de qualité, totalement à la disposition du compositeur. Le plus remarquable sur Planets + Persona, c’est la variété des approches, le mélange des genres, l’approche cinématographique et mystérieuse, un dosage surprenant entre des thèmes dansants et de l’ambiant. D’un aréopage pas si hétéroclite que ça, Richard Barbieri a utilisé toute la science, les musiciens se mettant totalement au service de notre compositeur-arrangeur de talent.

Dès « Solar Sea », la surprise est présente, avec sa rythmique entraînante et ce je-ne-sais-quoi d’acid-jazz émoustillant, laissant traîner çà et là la voix de Lisen Rylander Löve sur un texte dans aucune langue connue. Le vibraphone de Klas Assarsson, la trompette de Luca Calabrese et le sax de miss Löve égrènent quelques interventions tout à fait judicieuses qui nous font entrer de plain-pied dans l’univers de Barbieri (sentiment renforcé par le visionnage de la vidéo en 360° ci-dessous). « New Found Land » propose une atmosphère calme d’où la trompette de Calabrese extirpe de sublimes moments sous les battements martelés par la batterie de Severinsson et les percussions électroniques de Barbieri. On a même droit à un petit thème oldfieldien mêlant la guitare acoustique de Saggese et les claviers de Barbieri. « Night Of The Hunter », le titre le plus long de l’album (plus de 10 minutes) déroule ses trois parties cinématographiques sur lesquelles planent les ombres croisées de Ryuichi Sakamoto et Mike Oldfield (encore la guitare de Saggese).

Même si l’ensemble a quelque peu l’apparence d’un collage expérimental, on appréciera la discrète ligne de saxophone susurrée dans la deuxième partie (« Shake Hands With Danger »), les voix trafiquées de Lisen, ainsi que la pulsation lancinante des samples et des percussions qui fait transition avec la troisième partie (« Innocence Lost », avec encore la sublimité du saxophone de Lisen et de la trompette de Calabrese). « Interstellar Medium » voit le seul Barbieri assurer toutes les parties, electro-jazz, en support de la voix de Löve. « Unholy » est basé sur le piano de Barbieri et révèle à nouveau l’importance de Lisen Rylander Löve qui assure voix, omnichord, saxophone, kalimba (de toute beauté d’ailleurs) et définition de l’enveloppe sonore (sound design). Ajoutez la kora de Grice Peters, et vous avez un titre expérimental qui vous emporte vers ses espaces post-prog qui sont bien la marque de fabrique de Kscope ! « Shafts Of Light » reste dans les ambiances douceâtres où Calabrese et Sagesse font encore des merveilles, avec la transition des mélanges bruitistes de Barbieri et l’introduction de la basse discrète et souple d’Axel Croné. C’est « Solar Storm » qui vient conclure cet album avec une approche electro, la basse de Percy Jones et l’étrange saxophone de Lisen. Plus enlevé, grâce à la basse de Percy et à la batterie de Kjell, le titre nous rapproche d’un King Crimson qui sortirait un peu de ses habitudes pour revenir à un travail sur les ambiances et le son qui fleurent bon l’improvisation et la prise de risques. Pour un peu, on s’imaginerait même dans un studio glauque et glacial du Berlin interlope des années 70 avec les sieurs Bowie et Brian Eno déconstruisant la musique d’un monde dont l’effondrement programmé approche. Sublime conclusion !

Tu l’auras compris, cher lecteur, ce disque m’a touché, ému, bouleversé, intrigué. Alors que l’expérimentation musicale et la progression aventureuse ne semblent plus vraiment de mise dans une période de repli tant sociétal que musical, Barbieri fait partie de ses créateurs qui osent encore nous proposer, au travers de leurs univers, une interrogation sur le monde, un passage risqué mais ô combien stimulant vers des horizons d’une autre nature que ceux procurés par le carcan nacré des certitudes frigides de ceux supposés savoir, ces détenteurs de truismes obsolètes sur la musique, l’Homme et ses défis… À ceux qui réclament sans cesse le retour d’un Porcupine Tree (qui n’aurait sans doute plus grand-chose à proposer d’innovant), ses anciens membres procurent, pour chacun d’entre eux, les pistes attrayantes d’une musique progressiste au delà des univers confortables et surannés. Richard Barbieri continue son voyage. N’hésitez pas à embarquer avec lui, même s’il n’est pas certain qu’il y ait un retour prévu…

Henri Vaugrand

http://www.richardbarbieri.net/

https://www.facebook.com/RichardBarbieriOfficial/

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