Præternatura – Spirit Craft Materia
Indépendant
2024
Lucas Biela
Præternatura – Spirit Craft Materia
Projet d’un seul homme, Præternatura impressionne sur Spirit Craft Materia par ce lien inattendu tissé entre sérénité et angoisse. Celui qui est derrière ce projet, Reuben Christopher Jordan (alias Matron Thorn) est un Américain de 36 ans qui a déjà collaboré avec une vingtaine de groupes, dont certains de premier plan comme Bethlehem, Chaos Moon ou Inferno. Autant dire que le metal extrême n’a plus de secret pour lui.
Cependant, le sien est immersif puisqu’il joue aussi bien sur l’effroi que sur la quiétude. Il n’est guère aisé de jouer sur les deux plans, d’autant plus que c’est tout autant dans l’affrontement que dans le dialogue qu’ils sont mis en lumière. Et finalement, n’est-ce pas le propre de notre existence ? En effet, faire conjuguer effroi et quiétude, frénésie et introspection : nous voilà sur des sentiments entre lesquels nous sommes partagés et qui nous attirent tout autant. Et en parlant d’attraction, Spirit Craft Materia est un bon terrain d’étude. Telle Alice dans le terrier du lapin, on pense rêver et être tiré du sommeil à un moment, sans s’imaginer que si notre rêve était réalité, la chute pourrait nous être fatale. L’attraction est bien mise en valeur avec des forces qui nous tirent vers la lumière comme vers le fond. Ainsi, entre les nappes atmosphériques et les incantations vociférées associées à des cris de douleur empêtrés dans une rythmique courroucée, c’est une histoire d’anges et de démons qui nous est narrée. Attraction, mais aussi attirance, puisque c’est celle-ci qui nous pousse à embrasser tantôt l’angoisse, tantôt la sérénité.
Spirit Craft Materia est construit comme une suite. Les transitions entre morceaux sont quasiment absentes, comme pour mieux nous noyer dans le tourbillon d’un cauchemar éveillé. Nous est alors présentée une alternance de batailles et de trêves. Les conflits sont marqués par une pluie de voix épouvantables accompagnées de blast beats et de riffs à la fois insistants et sinistres. Une fois le torrent passé, les précipitations se poursuivent, mais à un rythme plus lent. Ainsi, les mélopées portent toujours ce grain abominable et suscitent toujours autant l’effroi, mais leur ton plus conciliant les rend plus enclines à déposer les armes. Il en va de même avec la rythmique, alors moins vindicative, même si sur ses gardes. Dans ces appels angoissants, les éléments atmosphériques restent d’une remarquable stoïcité. Ces nappes célestes apportent une véritable dimension épique à l’ensemble. On avait rarement entendu une telle cohésion entre éléments aussi disparates depuis le Anthems To The Welkin At Dusk d’Emperor. La confrontation est bluffante et nous voilà autant saisis par la superposition baroque des chants démoniaques que par la félicité des volutes nacrées. Les voix semblent en effet venir de toutes parts et de nombreux échos, tant de celles implorantes que de celles souffrantes, ne manquent pas de glacer le sang.
Se posant en véritable équilibriste, Matron Thorn parvient avec son projet Præternatura à provoquer autant l’effroi que la sérénité. Cet exercice est en quelque sorte une métaphore de notre existence, rendant son œuvre d’autant plus attachante.
https://praeternatura.bandcamp.com/album/spirit-craft-materia
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