Piers Faccini – Shapes Of The Fall
Nø Førmat !/Beating Drum
2021
Thierry Folcher
Piers Faccini – Shapes Of The Fall
Piers Faccini est fascinant. Pour sa musique, bien sûr, mais aussi pour son regard sur le monde et sa façon de vivre son art au fin fond du massif Cévenol où il a élu domicile depuis dix-huit ans. Piers Faccini est un citoyen du monde, un voyageur qui, à l’image des oiseaux, abolit les frontières. Sa musique emprunte toutes sortes de sonorités qu’il assemble pour en faire un témoignage interculturel bouleversant. Sa guitare se promène des méandres du Mississippi jusqu’aux contours de la Méditerranée en passant par les îles britanniques, sans aucun problème. Il est à l’aise dans tous les registres et se permet même de les mêler pour montrer qu’il n’existe qu’un seul langage, qu’une seule appartenance. Ce natif de Londres a fui l’agitation citadine pour se réfugier dans les Cévennes où il peut regarder le monde dans toute sa splendeur, mais aussi, dans toute sa fragilité. Cette terre protestante, faite de résistances (camisards, maquisards) lui va comme un gant. C’est une île, encore préservée, qui possède une force incroyable où chacun peut se révéler et accomplir ses rêves. Piers Faccini y écrit ses chansons tout en s’adonnant à la peinture, son autre passion. Son septième album intitulé Shapes Of The Fall (les formes de la chute) est une complainte sur la Terre, sur notre jardin d’éden duquel l’homme s’acharne à se faire expulser. Sur le premier titre (« They Will Gather No Seed »), il offre même la parole à un oiseau qui implore qu’on lui rende sa maison d’avant : « Bring me my home back ». Superbe entame qui nous fait découvrir la voix câline de Piers posée sur un lit de cordes rêveuses et encouragée par des chœurs célestes. Il y a plus de peine que de révolte dans ce chant magnifique qui puise sa force dans un blues taillé sur mesure. Ici le rythme en forme de gouttes d’eau ou de claquements de doigts est lent mais bien présent. Sur ce morceau comme sur tout l’album, on est impressionné par la puissance et la beauté du son. Magie d’un enregistrement réussi où chaque chose claque et se détache avec netteté et brillance.
Cela fait plusieurs années que Piers est accompagné sur disque comme sur scène par le musicien d’origine algérienne Malik Ziad. Tous les deux ont bien compris que leur musique pouvait s’enrichir mutuellement et se draper de couleurs originales, vraiment convaincantes. Lors de la première écoute de Shapes Of The Fall, on est frappé par cette écriture qui fait vivre le Guembri d’Afrique du nord en totale osmose avec un quatuor à cordes purement occidental. Les langages se fondent pour ne former qu’une seule expression et nous offrir des perles du style « Dunya » qu’il sera difficile de ne pas aimer. Ce morceau est d’une pureté rare avec son introduction typiquement africaine et son chant profond. On y parle d’amour dans une lamentation où les percussions de Karim Ziad (le frère de Malik) et du fidèle Simone Prattico vont peu à peu s’effacer pour un envol final de cordes de toute beauté. Après un délicieux et émouvant « Together Forever Everywhere », c’est la grande attraction « All Aboard » qui va marquer les esprits et les corps. « Tous à bord ! », véritable cri de guerre pour cette revisite de l’Arche de Noé enrichie par les voix de Ben Harper et d’Abdelkebir Merchane. Deux pointures vocales qui se fondent sans difficulté dans l’ambiance générale. « Les étoiles se sont alignées », comme le dit Piers dans l’excellent documentaire Songs Of Earth And Sky que je vous encourage à visionner (YouTube) afin de bien saisir la philosophie de son approche musicale. Pour cet amoureux du rythme, la grande réussite de « All Aboard » est de donner aux mots le pouvoir de cadencer la chanson et du coup, le Graceland (1986) de Paul Simon revient en mémoire même si le mariage semble ici plus naturel, moins folklorique.
J’aimerais revenir sur le deuxième titre du disque intitulé « Foghorn Calling » et sur lequel la guitare-oud de Piers nous gratifie d’une interprétation blues psychédélique assez cocasse et pleine d’opportunité. Les barrières tombent et les continents se rapprochent sur cet appel maritime à sortir des ténèbres. Puis « Levante » va redonner la priorité au chant de Piers dont la voix si douce devient de plus en plus addictive. Par moment elle me rappelle celle de Serge Fiori (Harmonium) qui sait comme personne nous chuchoter ses belles histoires au creux de l’oreille. C’est une forme de proximité que l’on ressent tout au long de cet album, une offrande tendue comme une main salvatrice. On écoute religieusement chaque instant à l’image de « Lay Low To Lie », une étrange gavotte venue d’orient où les sons et les atmosphères s’entrelacent dans un métissage surprenant. Les morceaux s’enchaînent avec pour chacun des particularités qui captent l’attention. On retient par exemple, la tendresse et les regrets des airs flamenco de « The Longest Night », le rythme chaloupé et la passion de « Firefly » ou encore le côté entraînant mais sérieux de « Paradise Fell ». « Je veux que nous nous en sortions » chante Piers sur la fin de ce morceau poignant où il s’inquiète de voir notre monde s’effondrer. Et comme on le comprend ! Surtout quand on sait que la beauté et l’amitié existent. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à écouter « Remember Them » où Piers et les frères Ziad semblent plus soudés que jamais. Enfin, « The Real Way Out » (la vraie sortie) est une douce réflexion sur le chemin de vie qu’il faut choisir et qui nous correspond le mieux. Pour finir, la version CD nous propose le petit instrumental « Epilogue » pour nous bercer une dernière fois au rythme des gouttes d’eau du début.
Shapes Of The Fall est un album marquant, certainement un des plus émouvants que j’ai écouté depuis très longtemps. Le sujet est grave mais la partition musicale reflète ce que l’homme est capable d’accomplir et de partager. Même si les forces obscures risquent fort de nous engloutir un jour, il y aura sans cesse des individus qui regarderont le ciel et les oiseaux pour trouver de l’espoir et croire en l’Humanité. Leur message doit nous servir pour que nos petites actions de résistance puissent s’additionner et devenir une force véritable.
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