Philippe Petit – Needles In Pain
Philippe Petit
Alrealon Musique
Philippe Petit fait partie de ces explorateurs des sons, un peu comme une sorte de Claude Levi-Strauss de la musique concrète. Chaque instant de libre n’est que le commencement d’un nouveau voyage, celui qui débute par des mains avides de triturations et autres tripatouillages méta-textuels. L’instrument musical, finalement, apporte peu. Que ce soit une guitare, un synthétiseur, une boîte à rythmes, des voix, une platine, tout cela ne ne sont que des moyens. Pour « Needles In Pain », Petit a jeté son dévolu sur ses platines fétiches et le matériau par excellence, le vinyle. Oh, je sais bien que ce n’est pas le premier à œuvrer avec des moyens d’écoute (Martin Tétrault ou Otomi Yoshihide ont largement défraichit le terrain). Confronter un vinyle avec un diamant, l’impression de sculpter la masse deviendra tactile, tangible, ludique même, comme un enfant qui découvre le pouvoir créatif entre ses doigts.
Difficile d’approche, « Needles In Pain » l’est, assurément. Des craquements de vinyles auxquels des sons imperceptibles (field recordings et effets divers) s’ajoutent et se compressent, jusqu’à engendrer une grosse masse organique en mutation constante, et qui semble s’animer telle une créature tout droit sorti d’un écrit tortueux de Lovecraft, ce n’est certes pas le chemin le plus praticable en ces lieux interdits. Cependant, il faut emprunter les passages les plus obscurs pour toucher ce qui ne peut être troublé. Et là, « Needles In Pain » ouvre un portail. Celui d’un tout qui devient possible, atteignant la puissance hypnotique du drone, le dessin de paysages mystérieux, limite effrayants mais aussi touchants, et d’une beauté qu’on ne peut nommer. Une beauté éphémère, captivante. Une écoute transmutée naviguant au gré d’accidents assumés et préparés le long des sillons du vinyle.
La musique concrète est plus un laboratoire de recherche. L’écouter, c’est entrer dans une sphère d’expérimentations saugrenues et troublantes. À chacun d’y trouver la beauté (ou la laideur) de ces « Tristes Tropiques » qui lui correspondent, de laisser les masses grouillantes, rampantes, écorchées et atones s’éparpiller en toute liberté, se rejoindre, copuler, et enfin se dissoudre, dans un long râle d’agonie. Un disque intriguant, au final absolument empirique, exigeant tout autant de concentration que d’abandon…
Jérémy Urbain (8/10)
Pour écouter ou télécharger l’album :
http://alrealonmusique.bandcamp.com/album/needles-in-pain-alrn036