Peter Baumann – Machines Of Desire

Machines Of Desire
Peter Baumann
2016
Bureau B

Peter Baumann  Machines Of Desire

Inutile de présenter Peter Baumann, passons de suite à… Stop, freinage d’urgence ! Je me rends compte que nos « jeunes lecteurs », comme l’écrivaient certains magazines de ma jeunesse (je parle ici de ceux de moins de 40 ans), n’étaient même pas nés lorsque Peter Baumann a cessé de faire de la musique, et même d’en produire. Donc je reprends : Peter Baumann fut le troisième homme d’un trio mythique, le Tangerine Dream de l’époque où le groupe explosa les charts avec une série d’albums culte, marquant l’univers du (kraut)rock – l’étiquette Berlin School a quasiment été taillée sur mesure pour ce trio-là. Et même si Baumann n’a posé que cinq ans ses valises dans un groupe à géométrie très variable, il l’a marqué de son empreinte et lui a sans doute offert ses meilleurs opus. Et quelle empreinte, au fait ? Si Edgar Froese en était le cerveau, et Chris Franke son sorcier des séquenceurs, on juge que le jeune Peter Baumann (19 ans à peine lorsqu’il rejoint le groupe vers fin 1971) en était à la fois l’âme et le mélodiste. On lui doit notamment ces mélopées orientalisantes qui ont imprégné les LPs et les concerts du Dream durant les « années Virgin », avant de disparaître dès la période qui suivra, celle d’un nouveau trio bien plus électro reconstitué avec le très jeune aussi Johannes Schmoelling.

Avant même sa sortie définitive du Dream en 1977 à l’issue de la tournée américaine de 1977, Baumann avait déjà sorti deux LPs solo remarquables : Romance 76 (1976), puis Transharmonics Nights (1978), dont on reparlera dans Clair & Obscur à l’occasion de leur réédition chez Cherry Red. Mais le virage des eighties n’avait guère été convaincant (deux albums hors genre, trop électro et assez insipides). Il émigrera alors aux USA et y créera son propre label Private Music, qui a notamment lancé la carrière de Yanni ou Patrick O’Hearn, lui-même restant dans l’ombre de ses artistes. Puis, plus rien… en tout cas, rien de musical ou presque, hormis une ou deux tentatives sans lendemains. Un virage plus radical encore de son existence le conduira à la création de la Baumann Foundation à vocation humaniste, versée en philosophie, psychologie, biologie et diverses sciences cognitives. On le pensait donc à jamais perdu pour la musique et pour ses fans ? Eh bien non.

Peter Baumann

Car c’est maintenant que Peter nous surprend avec ce come-back auquel il comptait associer Edgar Froese – mais il n’a hélas pas eu le temps de le faire, pour les raisons que l’on sait. Un simple retour comme tant d’autres ? Non, un véritable événement pour les fans du Dream, je parle de ceux de sa première période déjà citée, les années « virginales » 72 à 77 du trio mythique Froese/Franke/Baumann. Evénement d’autant plus marquant… que Baumann y retrouve ses marques et reprend quasiment sa copie là où il l’avait laissée en 1977, avec un album au son et à l’inspiration très typés seventies. Vu la photo promotionnelle du revenant entouré d’un arsenal de claviers vintage (tiens, il ne les aurait donc pas revendus ; y avait-il préméditation ?), on présume que les sonorités « d’époque-ou-c’est-tout-comme » de ce nouvel album sont réellement issues de machines et de hardware vintage, et non pas de samples et autres synthés virtuels devenus quasiment la norme pour les musiciens actuels (question de budget et de simplicité logistique, à notre époque du Tout numérique).

Et la musique, alors ? Machines Of Desire, ce sont 10 titres faisant tous entendre ces sons venus « d’ailleurs dans le temps » (jusqu’au mellotron dont il usait souvent avec le Dream). Sur ces 10 plages assez sombres, on sent qu’il a digéré le courant dark ambient (cela dit, Tangerine dream ne l’avait-il pas inventé aussi, dans Zeit ou Atem ?) mais l’album est aussi très imprégné de rythmes et de séquenceurs, dans la droite ligne des groupes Motorik, à l’instar du Kratwerk de la même époque (Autobahn, Trans Europe Express), mais aussi de Baumann lui-même, celui du très séquencé « Bicentennial Présent » sur Romance 76, et de la quasi-totalité des titres de Transharmonics Nights. On retrouve même quelques rappels rythmiques et mélodiques explicites à ces deux albums (clin d’œil, auto-plagiat ?) sur les titres « Searching In Vain », « Valley Of The Gods », et plus encore sur « Ordinary Wonder » avec cette boîte à rythmes très seventies et ces sons de claviers recopiés sur ceux de son album de 1978. Autre gimmick, et réminiscence des seventies du Dream, l’usage ici et là de voix modifiées (samples ou vocoder), sur le titre introductif « The Blue Dream » puis, plus surprenant, d’un chœur masculin sur le titre conclusif « Dust To Dust » (chœur peu modifié cette fois, pour ne pas dire très « orthodoxe »), à la manière du dark ambient néoclassique de Raison d’être et autres artistes du label Cold Meat. Un label dont il reprend parfois aussi les rythmes martial/industrial percutants (tels ceux du side project Sophia de Peter Bjargo, leader du groupe Arcana), sur le titre « Echo In The Cave ».

Globalement, et ça ne sera pas pour déplaire aux fans d’ambient, l’album est dark et navigue en eaux troubles. Somme toute à l’image du Dream de la période Virgin, plus proches à cette époque du dark ambient naissant que du New-age ou de l’électro dans lequel on a classé TD dans son évolution ultérieure. On regrettera bien sûr l’absence relative de développements sur ces 10 titres ne dépassant guère 6 minutes – sur un CD, la place ne manque plus pour les epics ! Et que Peter Baumann n’ait pas renouvelé le coup de maître de son œuvre majeure, la fabuleuse suite « Meadow Of Infinity + The Glass Bridge » de Romance 76 : chef d’œuvre absolu, sombre et romantique, fascinant et inclassable, qui aurait dû marquer son époque et attirer jusqu’aux amateurs de musique classique ou contemporaine. A croire que l’étiquette « inclassable » sera toujours une sorte de marque d’infamie ne permettant pas à une œuvre de s’extraire de la masse et de s’imposer comme elle le mérite.

Le design visuel maintenant : anonyme hélas et doublement frustrant par l’absence de toute photo ou illustration, et par les signes cabalistiques du recto où, sauf erreur, on finira peut-être par reconnaître les lettres MOD (celles du titre du CD ?) Un digipack slim insignifiant et presque laid, disons le, quand Cold Meat Industry par exemple avait su transformer certains des siens en objets collector (cf. MZ412). De même le lettrage rose/bleu discret et peu lisible (rappel en moins visible encore du design visuel de Transharmonics Nights) risque de rendre l’objet totalement invisible sur le rayonnage des disquaires.

Alors, un CD réservé aux déjà initiés ? En partie, car il s’agit d’un véritable retour aux sources de l’analogique et du « son Baumann » d’avant 80. Et à la fois, ce sera une découverte pour ceux (ces « plus jeunes » cités en intro) qui, faute d’avoir connu de visu les seventies, auraient aussi zappé Peter Baumann face à l’afflux de techno et d’électro qui inondent le marché depuis la décennie suivante. Alors les « jeunes », goûtez-moi-ça, et vous m’en direz des nouvelles. Quant aux anciens, revenez-y, c’est du Baumann authentique. Comme pour le néo-prog souvent jugé non évolutif et trop fidèle à ses sources, on pourra bien sûr lui reprocher de ne pas savoir ou vouloir « se renouveler », d’être resté scotché à un passé révolu ? Mais quel bonheur, aussi, d’avoir enfin une sorte de troisième album « inédit » de Peter Baumann… qui aurait aussi bien pu sortir en 1980. Ou presque. Un album uchronique, en somme ?

Jean-Michel Calvez

NB : Bureau B… comme Baumann ? Autoproduction ? Point du tout. Bureau B est un label (allemand) qui, comme Spalax à une époque avec le fond de catalogue Ohr, semble dédié à la krautrock musik allemande ou assimilée. Il édite ou réédite divers artistes de ce genre, connus ou moins connus : Cluster (avec C ou K), Moebius, Harald Grosskopf, Rolf Trostel, Conrad Schnitzler, Asmus Tietchens, You, etc. Peter Baumann y avait donc aussi sa place même si, bizarrement, ses deux précédents albums cités dans cette chronique sont réédités (et remasterisés) sous un autre label, britannique celui-là : Cherry Red.

http://www.bureau-b.com/

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