Pascal Gutman/Kiko King – Stick Drum Duo

Stick Drum Duo
Pascal Gutman/Kiko King
2012
Trois Quatorze Production

Pascal Gutman Kiko King – Stick Drum Duo

Avant de vous présenter tous les contours du Stick Drum Duo et de son premier album, il convient de dire quelques mots de son principal instigateur et maître d’œuvre, le musicien français Pascal Gutman. Déjà bassiste à 15 ans, c’est dans le courant des années 70 que le jeune homme va se forger une solide formation musicale. Celle-ci le conduira à enregistrer et à se produire avec des artistes de renom, tels que le génial compositeur, claviériste et arrangeur Jean-Philippe Rykiel, ou encore Cyrille Verdeaux, bien connu des amateurs de rock progressif pour avoir jadis fondé l’éclectique projet Clearlight, une solide référence hexagonale en la matière. En 1986, Pascal fait l’acquisition de son premier Chapman Stick, qui deviendra par la suite son instrument de prédilection. Pour celles et ceux qui l’ignorent encore, l’élégant « Stick » (ou « bâton », en référence à sa forme droite et élancée) est un dérivé de la guitare électrique, avec huit, dix ou douze cordes séparées en une partie mélodique et une partie basse. Pour maîtriser la bête, autant vous dire que dextérité et rigueur sont de mise ! Sa particularité est que les cordes ne sont pas pincées, mais frappées avec les doigts des deux mains, selon la technique dite du « tapping ». Cet instrument complexe aux possibilités inimaginables, qui génère un son puissant et formidablement riche en nuances, est ainsi plus proche du clavier que de la guitare dans la manière de l’appréhender.

Adapté à une multitude de genres musicaux, le Chapman Stick a été popularisé entre autres par le grand Tony Levin (King Crimson, Peter Gabriel, Liquid Tension Experiment), et utilisé en France par des musiciens de la trempe de Bernard Paganotti (Magma, Weidorje) et de Pascal Gutman, qui lui consacrera deux beaux albums (« Cascades » et « Ed Rhem ») avant celui qui nous intéresse ici. Signalons que l’artiste s’illustre au sein de 4 formations distinctes autour de son instrument de référence (à commencer par la simple formule solo), ce qui lui permet d’en explorer tout le potentiel et de l’accommoder un peu à toutes les sauces, du jazz à l’ambient, en passant par le rock et la world music.

En 2007 au festival de Stick de Santiago du Chili, Pascal Gutman croise le chemin de Kiko King, un inventif batteur mexicain avec lequel il se laissera aller à quelques improvisations, avant d’entamer une collaboration au long cours qui les conduiront de la scène (avec un passage remarqué au festival Crescendo de Saint-Palais-Sur-Mer) au studio pour mettre en boîte le premier opus du Stick Drum Duo. Et ce sera chose faite dans le courant de l’année 2011, avec une sortie un an plus tard, et un résultat vraiment enthousiasmant à l’arrivée. Si l’album présente une grande homogénéité au niveau sonore (seuls deux instruments sont en effet employés), le rendu musical s’avère quant à lui particulièrement nuancé, explorant et combinant par ailleurs une large variété de styles, ce qui en dit long sur le talent, la créativité, l’ouverture et le feeling des deux artistes. On passe ici de titres groovy enlevés, voir carrément funky (« Cascade »), à de jolies esquisses instrumentales en forme d’invitation à la rêverie et au voyage (« Ed Rehm 4 » et ses jeux de cymbales tout en textures, « Tihualcapa », ou l’immersif « Chani » qui conclue l’album dans un véritable océan de subtilité et de douceur).

D’autres morceaux affichent un style plus alambiqué et aventureux, tels que le Crimsonien « Au Moulin » (et ses arpèges façon Robert Fripp), l’excellent « Pas Persan », une ambitieuse pièce teintée de world music avec son joli thème oriental et ses multiples changements d’atmosphères, ou encore le pétaradant et hypnotique « Mars », particulièrement riche en variations rythmiques. Globalement, l’album ne ressemble à rien de vraiment connu. On peut parfois penser aux œuvres en solitaire de Tony Levin pour leur sens aiguisé de l’éclectisme et les sonorités caractéristiques du Stick (forcément !), un peu également au tortueux et avant-gardiste « Polytown », chef d’œuvre du trio David Torn, Mick Karn et Terry Bozzio (en moins aride et barré toutefois). Mais l’univers déployé par nos deux compères, globalement lumineux et empli d’une réelle fraicheur, possède une identité si forte qu’il est finalement vain d’essayer de le comparer à tel artiste, groupe ou projet.

Aussi, il y a une véritable exigence esthétique dans cette musique produite en duo, et les nouvelles versions d’anciens titres issus des premiers essais discographiques solos de Pascal Gutman sont là pour le démontrer (exit par exemple le saxo un peu « kitsch » et trop réverbéré sur « Cascade » ). Enfin, il faut savoir que Gutman et King ne font jamais l’impasse sur le sens mélodique, qui imprègne avec classe chacune des huit compositions du CD. Ici, c’est définitivement la virtuosité qui est au service de la musique, et non l’inverse. Il en découle une œuvre complexe et incroyablement bien ficelée qui n’en demeure pas moins très accessible, jamais lassante ou rébarbative, et qui risque de ratisser large auprès des mélomanes de tous bords, pour peu qu’on donne sa chance au produit. A vous de jouer maintenant !

Philippe Vallin (8,5/10)

http://pascalgutman.com/

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