Olivier Briand – Light Memories
Olivier Briand
PWM
L’actualité est particulièrement florissante ces derniers temps pour le compositeur de musiques électroniques Olivier Briand. En effet, après l’excellent « Interférences » cosigné il y a peu avec son vieux complice nantais Bertrand Loreau et s’inscrivant dans une veine « Berlin School 70’s » pleinement assumée, le synthétiste revient sur le devant de cette scène « electro-progressive » française aussi confidentielle que dynamique avec « Light Memories », son nouvel album solo. Toujours distribué via le label PWM, cet opus constituerait, aux dires de son auteur, une sorte de petite pause « récréative » où le musicien rendrait hommage à l’immense Vangelis, l’un de ses mentors, non pas via un disque « tribute » où il réinterpréterait certaines pièces de choix, mais plutôt à travers une série de compositions personnelles réalisées et jouées « à la manière de ». On pouvait donc supposer qu’Olivier Briand, musicien exploratoire par excellence, allait s’inscrire ici dans une veine plus mélodique – et donc davantage « grand public » – qu’à l’accoutumée (Vangelis, véritable génie multi-facettes, étant surtout célèbre pour ses thèmes hyper-médiatisés). Nous verrons plus loin que les choses ne sont pas aussi simples qu’elles en ont l’air !
Pour les besoins de son nouvel ouvrage, notre passionné des claviers et machineries vintages s’est vu confié précieusement le fameux Yamaha CS80, synthétiseur polyphonique analogique produit dans le milieu des années 70 (que l’on peut entendre par exemple sur la légendaire bande originale de « Blade Runner ») ainsi qu’un piano Fender Rhodes Mark II, instrument au son caractéristique dont le référentiel musicien grec était lui-même aficionado. Bardé d’intentions « mimétiques » et équipé d’une palette sonore adéquate, Olivier Briand réalise avec « Light Memories » un long voyage électronique ininterrompu en quinze étapes avec fondus enchainés véhiculant ambiances, esthétiques, émotions et intentions disparates. Sans transition, on passe en effet de pièces symphonico-atmosphériques (les sublimes « Part II » et « Part V » aux climats SF très « Blade Runner oriented ») à de douces escapades mélodiques ensoleillées (avec les « Part VI » et « Part IX », tout en légèreté).
On s’immerge dans une sorte de mélancolie contemplative façon « Opéra Sauvage » (« Part VII » et « Part XII ») quand on ne s’abandonne pas dans des ambiances plus urbaines (la chaloupée et subtilement jazzy « Part VIII »), pour mieux redécoller et flotter au dessus des espaces vierges d’un film documentaire imaginaire (« Part XIV »). On sait que Vangelis (au même titre que Klaus Schulze et autres pionniers géniaux de la musique électronique) a beaucoup compté dans la démarche créative d’Olivier Briand et dans son propre accomplissement en tant que musicien, et cela s’entend tout particulièrement ici. Pourtant, aucun sentiment de plagiat (un simple petit clin d’œil au célèbre thème de « Pulstar » dans la « Part V » tout au plus !) ne vient jamais gâcher le plaisir que procure « Light Memories », sur lequel plane effectivement et en discontinu « l’âme » de qui vous savez. Ce serait sans compter sur le talent et le style propre au compositeur nantais, qui arrive même à imposer sa propre patte tout au long d’un album « hommage » à une personnalité on peut plus archétypale !
Alors oui, la basse hypnotique en longue introduction de la très progressive « Part III » (aux séquences rythmiques enchevêtrées fascinantes !) nous replonge avec bonheur dans l’ambiance cinématographique du « Bounty » (version 1984, avec Mel Gibson et Anthony Hopkins). Oui, Olivier Briand fait preuve d’un toucher d’une rare expressivité au piano électrique (avec un final digne du meilleur de « L’Apocalypse Des Animaux ») sur le tapis de nature électronique de cette féérique « Part IV ». Oui, on croirait que c’est Vangelis lui-même qui s’y est collé, tant ces soli sont renversant de beauté et de poésie. Et enfin, oui, Olivier Briand fait très certainement référence aux travaux les plus avant-gardistes du maitre (« Beaubourg », « Invisible Connexion ») avec les digressions « hermétiques » et autres bizarrerie électroniques dont il s’amuse dans cet ultime « Part XV », à mon avis mal agencée (« Light Memories » aurait en effet mérité une conclusion un peu plus « lumineuse », justement !).
Mais malgré tout ces « oui » porté au crédit du compositeur grec, c’est bel et bien à un authentique album d’Olivier Briand que vous êtes conviés en découvrant ce « Light Memories », ouvrage d’une richesse incommensurable (les arrangements sont superbes, les structurations variées, l’esthétique sonore jamais remise en cause !) qui ne dévoile tous ses trésors qu’au fil de nombreuses écoutes. Et si Vangelis est fort d’une personnalité unique et d’une carrière à l’éclectisme sans égale, Olivier Briand n’est pas aussi « suiveur » qu’il veut bien s’en donner l’air avec « Light Memories ». Ce plasticien des rythmes et des sons s’inscrit en permanence dans l’expérimentation et la recherche. Il ne peut donc en aucun cas passer pour une pâle copie de celui à qui il rend ici le plus beau des hommages : celui de créer une partition originale et personnelle qui ne fait qu’emprunter à un musicien hors-pair une infime parcelle de son essence, afin de mieux magnifier celle qui lui est propre.
Voilà ce qu’on peut appeler de l’inspiration au sens noble du terme, tout simplement. « Light Memories » est un album majeur de plus, qui n’a rien d’une « pause récréative », à porter au crédit d’Olivier Briand, ni plus, ni moins.
Philippe Vallin (9/10)
http://pwm-distrib.com/shop/fr/