Nils Petter Molvaer – Khmer

Khmer
Nils Petter Molvaer
1997
ECM

Nils Petter Molvaer – Khmer

ECM est un label formidablement défricheur (Pat Metheny et Jan Garbarek, ça vous dit quelque chose ?) auquel on doit la découverte d’artistes aussi originaux et talentueux que le trompettiste, compositeur et producteur norvégien Nils Petter Molvaer. Après avoir tracé son chemin en solitaire avec le passionnant CV que l’on sait, il a participé à la remarquable formation de jazz contemporain Masqualero, avec laquelle il a enregistré trois albums entre 1985 (« Bande A Part »), 1987 (« Aero ») et 1990 (« Re-Enter »). Au travers du style souvent éthéré et typiquement nordique du quintet (la proximité avec les fjords vikings et autres lacs finlandais ne doit pas être étrangère à l’inspiration débordante de cette galaxie de musiciens !), on perçoit déjà les prémices du travail et des orientations à venir de l’aventureux trompettiste. Après diverses autres collaborations fructueuses qu’il serait vain d’énumérer ici, Molvaer se lance en 1997 dans une carrière solo brillantissime avec le foudroyant et définitif « Khmer », disque mixant avec brio le jazz, l’électro et, dans une moindre mesure, un rock hybride et audacieux (style qu’il réaffirmera bien davantage dans les excellents « Hamada » en 2009 et « Baboon Moon » deux ans plus tard).

Ici, entouré de six musiciens en parfaite osmose, Nils Petter nous offre, dans une période où le genre explose et s’impose, un « nu jazz » remarquable d’inventivité, de maîtrise et de cohésion, à des années lumières des tempos lounge et fashion des très branchés Saint-Germain, Budge Wesseltoft et consorts (surtout ne voyez là aucune attaque contre le travail des artistes précités, excellents par ailleurs dans leur propre domaine). Formidable compositeur et improvisateur, son jeu tantôt lyrique, tantôt intimiste, évoque dès le premier contact le grand Miles Davis et le non moins génial mais trop méconnu Jon Hassell, inventeur de la « Fourth World Music », combinaison de mélodies « primitives » et de traitements technologiques post modernes, dont NPM s’est forcément plus ou moins inspiré.

Mais c’est d’entrée de jeu que ce véritable génie affirme sa propre personnalité avec cette petite bombe qui restera dans les annales de l’electro-jazz (qualificatif ô combien réducteur) comme il continue de le faire aujourd’hui au fil de ses contributions et propres parutions. Privilégiant l’émotion et la sensibilité à la masturbation intellectualiste, il nous offre, sur cet intemporel « Khmer », sept compositions résolument futuristes dont la formidable alchimie sonore doit beaucoup au jeu du guitariste Eivind Aarset, tour à tour bruitiste, tisseur d’orfèvreries vaporeuses et « electro-rocker » frénétique (il synthétise tout cela à merveille dans le jouissif « Platonic Years », planant et groovy à souhait).

De manière plus générale, on retiendra dans ce premier magnum opus signé NPM un sens mélodique brillant (le lumineux « Phum »), de jouissives velléités expérimentales (l’hypnotique « Song Of Sand II ») et un sens prononcé pour la création de paysages sonores oniriques (l’ambient jazz envoûtant du très feutré « On Stream »).

Au final, le référentiel et inclassable « Khmer » s’avère absolument indispensable à tout mélomane curieux dénué de préjugé, quelle que soit sa propre « chapelle » ou ses terrains de prédilection. En effet, parler ici de genre musical n’a finalement aucun sens. « Les étiquettes, c’est vraiment un truc de journaliste » nous disait Miles Davis. Ce à quoi il ajoutait dans la foulée : « Moi je fais de la musique, alors foutez-moi la paix avec le jazz !« . On dirait bien que son fils spirituel nordique a parfaitement retenu la leçon.

Philippe Vallin & Bertrand Pourcheron (9,5/10)

http://www.nilspettermolvaer.info/

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