Nick Cave & Warren Ellis – Carnage
Goliath records
2021
Fred Natuzzi
Nick Cave & Warren Ellis – Carnage
Même si la Covid nous a privé du grand concert qui s’annonçait avec la tournée Ghosteen, Nick Cave a toujours répondu présent. Rappelons que la mort accidentelle de son fils l’avait plongé dans un état indescriptible, et c’est bien compréhensible, aboutissant à l’exorcisme de ses émotions via un Ghosteen sublimé, impudique et cherchant la lumière dans l’obscurité. Il a ensuite collaboré avec Nicholas Lens pour Litanies, un « opéra (confiné) de chambre des rêves endormis ». C’est surtout le concert piano voix qu’il a donné seul à l’Alexandra Palace, Idiot Prayer, qui est venu rappeler pourquoi Nick Cave est ce grand shaman que l’on ne peut s’empêcher d’admirer. Cette voix ténébreuse, ce conteur de génie, cette poésie noire, tout ceci magnifié par le piano à la fois simple et subtil et qui rend Idiot Prayer tout bonnement indispensable. On le sent apaisé, comme si à travers ses choix de morceaux, il faisait le point sur sa vie, mais également la nôtre. Fin d’un chapitre, début d’un autre, mais vers où ? Carnage est peut-être la réponse ou en tout cas un retour à quelque chose de plus ouvert. L’album est signé Nick Cave & Warren Ellis, les deux compères ont écrit bon nombre de bandes originales de film ensemble, nous les retrouvons ici pour un album original pour la première fois ! Entre temps, Warren a collaboré avec Marianne Faithfull pour She Walks In Beauty, une relecture de poètes anglo-saxons.
On pourrait penser que ce titre, Carnage, annonce la couleur : ça va saigner, comme les formidables Grinderman à leur époque ! Et sur la pochette, le mot « Carnage » est disposé de façon à faire penser à un flingue. Et pourtant, on a affaire à un album dans la veine des précédents, très émotionnel et contemplatif, mais avec des arrangements sublimement tranchants. Le carnage, c’est sans doute cette pandémie et ses conséquences… Nous sommes donc en terrain connu, mais ce champ musical s’élargit de plus en plus et appelle parfois à s’échapper vers des contrées inattendues et bienvenues. « Hand Of God » ouvre l’album et les touches électro surprennent sur fond de cordes évocatrices. Le titre est hypnotique, rappelle une ambiance Grinderman, avec un Nick Cave charismatique comme jamais. « Old Time » et sa formidable narration est sublimé par les arrangements de Warren Ellis, un récit qui retrouve l’incarnation possédée des grands jours avec en prime un paysage sonore qui pourrait rappeler Badalamenti & Lynch. « Carnage » est très cinématographique et aurait pu trouver sa place dans Skeleton Tree par exemple. Le carnage annoncé est émotionnel, avec des chœurs pleurant l’amour. Très beau moment qui rappelle aussi l’époque Boatman’s Call.
« White Elephant » surprend avec sa deuxième partie en forme de gospel et sa débauche de musique contrastant avec sa première partie menaçante. Une sorte d’annonce d’apocalypse imminente… Retour à la beauté limpide d’un piano mélancolique avec « Albuquerque » et ses fabuleuses cordes. Prenant et intense pour un texte (pour une fois) simple. Le solennel « Lavender Fields » impose une religiosité à l’écriture de Nick Cave. Sa religion, c’est l’encre de sa plume qui va au-delà de son incarnation de papier pour atteindre des champs immatériaux. Ecrire fait donc encore plus sens après la perte qu’il a subi et cette pandémie. « Shattered Ground » reste le terrain d’une séparation où Nick raconte en poète le mal qui le ronge. Atmosphérique à souhait, cette pièce triste rappelle aussi l’époque Boatman’s Call. Enfin, le lumineux « Balcony Man » ferme la marche et montre combien Nick Cave peut aussi célébrer l’instant et attendre un futur meilleur.
Carnage est un album qui marque le retour d’un Nick Cave plus ouvert au monde extérieur, même s’il reste marqué par une spiritualité qu’il a développé ces quelques dernières années. L’opus reprend en quelques sortes les choses là où Skeleton Tree s’est arrêté et mixe quelques éléments du passé pour les intégrer aux arrangements. Le résultat est encore une fois sublime et saluons le travail de Warren Ellis qui décidément est le soutien essentiel à Nick Cave. Bienvenue à nouveau parmi nous Nick.