MUR – Brutalism

Brutalism
MUR
Les Acteurs De L'Ombre
2019
Jéré Mignon

MUR – Brutalism

MUR Brutalism

Quand le groupe auquel on s’attarde aujourd’hui se nomme MUR, nul besoin d’avoir fait des études supérieures pour que les neurones se connectent et qu’on se dise que ce n’est pas pour rien. Tout commence par une brique sur laquelle vont s’ajouter, s’empiler, se solidifier, se consolider d’autres briques jusqu’à former une muraille, un obstacle, ce MUR. Qui dit Mur dit fermeture, cloison, espace infranchissable et cet ailleurs qu’on fantasme plus qu’on ne voit. La frustration, l’isolement face au MUR, cette rage contenue de gueuler dessus jusqu’à que le ciment s’effrite, se craquelle et que ce putain de barrage chute et tombe jusqu’à la dernière trace d’aggloméré. MUR appelle à la colère enfouie, celle qui se construit seule, dans la solitude avant d’éclater, dans le silence ou pas… Peut-être.

MUR donne cette impression de ce groupe enfermé entre quatre épais panneaux et qui donne tout ce qu’il a pour faire plier digues et frontières. Le groupe parisien n’en est pas à son coup d’essai puisqu’un premier Ep est sorti il y a maintenant cinq ans mais entre-temps, le line-up a changé et évolué, le style aussi. Si le contenu se montre bien frontal, il se révèle aussi jusqu’au-boutiste, brouillant les pistes sans vergogne. Et de frontières, le groupe s’en amuse. Il en change la cartographie comme on empile des couches de papier calque sur une première esquisse pour donner au final un conglomérat de formes (im)précises, alambiquées dont on devine les liens et ramifications. Aussi on passe de plans hardcore teigneux, techniques voire mathématiques à des virulentes saillies black metal sous l’enveloppe de cet élément qui donne tout son sel à Brutalism. le synthé. Tour à tour noise ou ambient, éthéré ou crapuleux, accompagnateur de la section rythmique ou « soliste », ce dernier est capable de poser une ambiance aussi claustrophobe et plombante que porteur d’une émotion rageuse et matérialiste, certes, mais qui vise un horizon, pas si lointain, qui dépasse le cadre de groupe. Il faudra d’ailleurs attendre le titre « Nénuphar » pour saisir l’importance véritable de l’instrument dans son emploi inédit et casse-gueule, formant l’architecture de ce premier album.

MUR Brutalism Band 1

Car oui, Brutalism est un premier album mais ce qui surprend c’est son identité, déjà marquée par les ruptures de fréquences, tempo et d’intonation incessantes comme pour ces entrelacements hypnotiques entre guitares et synthé créant un climat atmosphérique entêtant et organique (on pensera à « Third » et à son final). Brutalism, on y revient d’ailleurs, style architectural moderne, largement inspiré par les travaux de Le Corbusier, en vogue entre les années 50 et 70, se manifestait par des bâtiments carrés et droits, imposant la rudesse du béton. Si on peut en effet sentir une rigidité anguleuse dans les compositions brutes et sans fioritures de MUR, il subsiste néanmoins une notion d’éclatement,de conglomérats et d’agencements géométriques d’un trop plein (vide ?) qui ne demande qu’à s’extirper, si ce n’est exploser et se liquéfier. Car il y a quelque chose de l’ordre du liquide dans ce premier effort. Si certaines rythmiques donnent plus dans la hachure (quasi asymétrique par instant) et la stridence dans un martèlement quasi continu, certaines phases donnent plus l’impression de contempler un ruisseau sous un filtre métallique et huileux, de brefs instants de contemplations morbides, urbaines et digitales car souvent transformés et noyés dans ce déluge incessant qu’impose MUR. Et dire que dès un premier album on arrive à un tel niveau… Alors okidoki, les membres sont des anciens de Comity, Mass Hystéria, Today Is The Day, Glorior Belli, niveau CV pépouze on a vu pire (comme mieux). Mais être maître d’un tel pseudonyme de groupe, du titre d’un album thématiquement aussi marqué, de proposer au lieu de conforter, de briser un mur, comme l’avait fait auparavant un certain Roger Waters, symbole d’inculture et de régulation idéologique sans entrer dans un pourparler imbécile et politiquement correct pour toute bonne chaîne de télévision en manque d’audimat, il y a une frontière… Tiens, j’ai pas fait exprès là !  Alors Black Metal ? Hardcore ? Blackened Hardcore ou je ne sais quoi dans la galaxie des étiquettes… Franchement le temps me fait dire qu’on s’en fout… Même si le groupe a signé sur le très respectable label Les Acteurs De L’Ombre, toujours à l’affût de groupes certes plus portés par la mouvance black, mais ayant une identité forte, j’y vois surtout l’ouverture d’esprit que je suis en choix d’attendre. Celui d’un style bâtard, osant, défiant les courants mais gardant cette rancœur comme cette fraîcheur de nouveauté qui ne demande qu’à s’affirmer.

MUR Brutalism Band 2

Alors, peut-être que le MUR est toujours debout, tenace dans sa médiocrité et son ignorance mais à l’écoute de ce Brutalism qui m’accompagne sur mes trajets asphyxiants en transports comme dans les recoins de ma platine, je ne peux m’empêcher d’émettre un sourire mesquin et satisfait sur la vitalité de la scène française, déjà, et de me projeter sur mes prochaines balades en forêt, au milieu des arbres et des fougères. Peut-être que, au-delà de ce MUR aussi fictif, allégorique que physique, il y a une échappatoire.

PS : Fait amusant, il existe une différence de track-listing entre la version numérique et vinyle de Brutalism (ce qui en soit n’est pas rare). Si « Die Kinder Tanzen Um Das Feuer Desjenigen Der Das Licht Bringt » apparaît sur bandcamp comme quatrième titre et interlude à l’album, il se manifeste comme ouverture sur la version physique. Quelque part cela change un tant soit peu le ressenti que l’auditeur peut avoir sur l’objet. Introduction atmosphérique ? Interlude bienvenue ? Chacun est juge sur cet aspect. Ce qui n’empêche pas néanmoins de se plonger (avec délectation et fougue) dans les couloirs et bifurcations abruptes de ce Brutalism.

https://murband.com/

https://murband.bandcamp.com/

 

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