Motley Crüe, Neil Strauss – The Dirt

The Dirt
Motley Crüe, Neil Strauss
Camion Blanc
2007
Rudzik

Motley Crüe, Neil Strauss  The Dirt

Motley Crüe The Dirt

L’été est propice à remettre son nez dans les bouquins. De plus, les chroniques littéraires sont à la mode chez Clair & Obscur, donc j’y vais de la mienne. Sulfureuse, corrosive, explosive, tous les termes ont été utilisés pour qualifier The Dirt, la bio de Motley Crüe (qu’on peut traduire par « Troupe Hétéroclite ») compilée par Neil Strauss et sortie outre-atlantique en 2001 puis en France en 2007. J’imagine trop bien la tête de ce dernier quand il a commencé à recueillir les récits embrumés et bien dég. des quatre rock stars, On est en effet très loin du strass et des paillettes qui ont fait la renommée du groupe sur scène. Même moi qui suis loin d’être accro à la presse People, j’avoue avoir été scotché à ce bouquin de la première à la dernière page. Il faut dire que dès le premier chapitre, que dis-je, paragraphe, on est tout de suite dans l’ambiance avec une présentation bien trash de Bullwinkle, la copine de Tommy Lee, une femme fontaine dont la description est ici bien moins poétique que ce terme.

Alors The Dirt (la crasse) est certainement le titre idéal pour cet ouvrage dont la sortie a précédé celle de l’album du line-up d’origine Saint Of Los Angeles. C’était sans doute un véritable exploit pour les quatre membres originels de Motley Crüe quand on mesure leurs dissensions et leurs contentieux à la lecture du livre. Il donne un grand coup de pied dans la fourmilière des biographies bien propres sur elles et révèle au grand jour l’envers, ou plutôt l’enfer du décor de la vie de nos glam stars.

Motley Crüe The Dirt band1

Neil Strauss a réussi l’exploit de convaincre les quatre « Crüe » d’ouvrir leur cœur (et même leur braguette le plus souvent) pour livrer au lecteur des histoires parallèles sans fards (pas comme sur scène) et sans détours. Le style est comme le contenu, à savoir sans fioritures, Par exemple, je ne sais si c’est volontaire de la part du traducteur, mais de nombreuses négations sont occultées (ex: « Je me rappelais de rien »), certainement pour faire plus « cru » et plus « root ». Évidemment, toutes les anecdotes salaces sont autant de bombes anti-personnelles qui ont dû faire pas mal de dégâts (quelques-uns de plus, complémentaires aux actes, en fait) dans l’entourage des Tommy Lee, Nikki Sixx, Vince Neil et Mick Mars. Les jugements qu’ils portent sur leurs proches sont tellement bruts de fonderie, qu’ils confirment nos interrogations sur le fait qu’ils aient encore été capables de rejouer ensemble après la sortie du livre. L’avertissement figurant en page de garde « A nos femmes et enfants, dans l’espoir qu’ils nous pardonnent pour tout ce que nous leur ?avons fait subir » est totalement justifié même si, à l’image d’un Nikki Sixx constamment à la recherche d’une vraie famille qu’il ne mérite peut-être pas, ces quatre mecs montrent également un côté « cas socios paumés » qui leur collera à la peau toute leur vie. Ce ne sont pas les séances de psy à prix d’or qui les laveront de leur enfance douloureuse qui les a marqués au fer blanc. Ils ne sont pas plus tendres entre eux qu’avec leurs proches comme Tommy Lee qui a accroché une photo de Vince Neil (au moment de son exclusion douloureuse du combo) dans les chiottes « pour que tout le reste du groupe puisse lui pisser dessus à chaque fois qu’ils y vont ».

Le triptyque traditionnel et diabolique « Sex, Drug , Rock And Roll » est poussé à l’extrême. Les frasques des Crüe provoquent chez le lecteur des sentiments ambivalents. On éprouve une compassion profonde mêlée d’admiration pour ces quatre zonards qui se sortent quand même le doigt du c… pour y arriver et convaincre un label comme Elektra, non spécialisé dans ce style de musique, de les soutenir (même si cela ne durera pas). On passe ensuite à un réel dégoût devant tant de turpitudes, de dépravations et de concupiscence mais également face à la propension du groupe à dilapider les millions de dollars qui leur sont tombés du ciel certainement trop rapidement. Et d’ailleurs le schéma «  je suis fou d’elle, je claque un max pour elle, je la déteste, on se fout sur la g., je claque encore plus de pognon pour m’en défaire » devient assez vite répétitif et lassant, chacun des membres du groupe l’ayant vécu plusieurs fois. La palme revient à Tommy Lee dont le manque de stabilité incitera la plantureuse Pamela Anderson à l’envoyer en taule. Vince Neil sentira plusieurs fois la mort planer sur lui en tant qu’acteur dans l’accident de voiture avec le défunt Razzle Dingley (Hanoï Rocks) ou spectateur impuissant devant le cancer qui emportera sa fille de quatre ans, Skylard. Quant à Nikki Sixx, il a toujours mis en pratique la philosophie de vie qu’il attribuait à ses fans, à savoir l’anarchie. Finalement, le seul qui pourrait avoir des circonstances atténuantes serait le guitariste Mick Mars, atteint dès le plus jeune âge d’une maladie incurable des os (une forme d’arthrite : la spondylarthrite ankylosante) qui ne cesse de progresser et l’a transformé petit à petit en zombie arthritique en le faisant sombrer dans l’alcool. Tout au long du bouquin, on le sent en marge des trois autres. On le voit donc, les Motley Crüe ont des destins parallèles, mais similaires et leurs déboires en matière de femmes et d’addiction les ont probablement amenés à être plus forts pour se retrouver autour du troisième volet du triptyque diabolique précité, à savoir le rock and roll.

Je vais sans doute vous étonner, car au-delà de toutes ces anecdotes toutes plus thrash les unes que les autres, ce qui m’a le plus intéressé, c’est le désarroi du groupe devant la fuite du succès aussi soudaine qu’imprévue pour eux avec une description très audacieuse du fonctionnement de la «Machine » du star system et de ses engrenages infernaux. Cela les conduit à l’échec de l’album éponyme en 1994 qui les met très vite sur la paille, La vague déferlante du grunge est passée par là et comme beaucoup d’autres qui ont tenté d’ailleurs des come-back plus ou moins réussis, Motley Crüe ne s’en remettra pratiquement jamais. Les effets de mode sont de violents phénomènes soudains que les rock stars ne parviennent quasiment jamais à anticiper. Aussi, mesurer comment Motley Crüe l’a ressenti de l’intérieur est très instructif. On assiste en particulier à l’enfantement douloureux de l’opportuniste Generation Swine qui provoquera un départ du rockeur intégriste Tommy Lee, ne se reconnaissant plus dans cette orientation musicale trop grungy. La bio s’arrête à l’après tournée de cet album sorti en 1997 et retrace environ une vingtaine d’années de l’histoire du groupe. Depuis, le film est sorti, mais chaotiquement également. Le scénario fut d’abord refusé par MTV Paramount puis accepté par le plus confidentiel duo de compagnies 10th Street Entertainment / LBI Entertainment pour une sortie intervenant seulement en 2019. Bien que mettant surtout l’accent sur les aspects les plus choquants du livre, son succès fut mitigé. Il a été difficile au réalisateur de réussir à créer l’ambiance bipolaire de ce bouquin entre délires et désarroi des rockers, confirmant le traditionnel jugement du « J’ai préféré le livre ! » L’âge n’a pas assagi le quatuor, car, à 71 ans, Mick Mars ayant jeté l’éponge pour les shows en début d’année, la progression de sa maladie l’en empêchant, les trois autres ont tenté de l’exclure du groupe et de la société qui en gère les actifs. Ce désaccord a généré une plainte de Mick et un nouveau grand et « dirty » déballage en règle du groupe sur le net (https://www.metalzone.fr/news/185357-motley-crue-mick-mars-porte-plainte-contre-groupe/). Chassez le naturel…

Motley Crüe The Dirt band2

En définitive, on ressort impressionné que ces mecs-là soient encore vivants après tant d’excès de tous ordres. Leur fidélité au rock face à tant d’adversité qu’elle soit externe ou générée par les propres démons des quatre apôtres du glam, est exemplaire. N’est-ce pas cela qui caractérise les authentiques rock stars ? Celles de The Dirt semblent indestructibles. Peut-être ont-elles tout simplement eu plus de chance que les mythiques Jimi Hendrix, Jim Morrison, Bon Scott, Phil Lynott ou autres Kurt Cobain etc ? RIP.

https://www.motley.com/

http://www.camionblanc.com/detail-livre-motley-crue-the-dirt-108.php

 

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