Moon Letters – This Dark Earth
Autoproduction
2025
Lucas Biela
Moon Letters – This Dark Earth
Moon Letters, c’est ce groupe de rock progressif assez déjanté qui avait déjà tapé dans l’œil de la rédaction de Clair & Obscur avec leur deuxième album, Thank You From The Future. Trois ans plus tard, nous voilà à nouveau en train de succomber au charme irrésistible de leur musique. Si la formule mêle toujours autant allégresse, mélodie et technique, This Dark Earth révèle néanmoins, à l’image de son titre, un côté sombre à bien des égards.
L’entrain, il saute aux oreilles. Ainsi, aux côtés de la batterie frétillante de « In The Catacombs », les claviers ont bien du mal à cacher leur enthousiasme. De même, quand il ne marche pas discrètement à travers les galeries de sépultures souterraines, Michael Trew crie haut et fort sa joie de vivre. Plus loin, « Silver Dream » s’ouvre sur des guitares au sourire contagieux, tandis qu’en se faufilant entre les sentiers d’une douleur que j’évoquerai plus loin, « Island Of Magic Mirrors » privilégie des voix de tête à l’enjouement communicatif. En associant toute cette exaltation à des roulements de batterie saugrenus et des claviers féeriques, c’est une véritable ambiance de fête foraine qui nous submerge. L’envoûtement est total et un tourbillon de manèges nous étourdit. Dans ces épanchements de jubilation et de rythmes tous azimuts, la formation parvient néanmoins à rendre son propos mélodique. Ainsi, le chant lancinant de « Silver Dream » a de quoi revêtir de feuilles un saule pleureur en plein hiver. Les harmonies vocales de « Energy Of The Heart » en revanche pourraient faire fondre une motte de beurre placée dans un réfrigérateur. Ailleurs, les chœurs de « Island Of Magic Mirrors » sont aussi chauds que les rayons d’un soleil en pleine canicule. Les mélodies sont effet très travaillées chez nos écrivains lunaires, et rendent le discours plus agréable à suivre. Et pour mettre en œuvre ces motifs amusants et ces mélodies, c’est un jeu des plus impressionnants sur le plan technique qui est déployé. D’un côté, on note que la batterie de Kelly Mynes ne perd jamais le nord, même quand elle s’aventure aux autres points cardinaux. De l’autre, comment ne pas être emballé par ce chant élastique qui amuse autant qu’il émeut. En outre, les claviers de John Allday et les guitares de Dave Webb tour à tour virtuoses et espiègles ne cessent d’hanter notre esprit.
Il faut noter néanmoins que la sauce ne prendrait pas sans des éléments plus propices à l’introspection. Ainsi, les riffs sombres, les cordes alarmées, et le chant prudent de « Energy Of The Heart » offrent un contraste saisissant au moteur tour à tour galopant et funky qui en fait battre le cœur. A travers ces fenêtres de douleur, il ne s’agit pas de saper l’énergie mais de la canaliser et de se remettre en question. Ces moments de mélancolie se retrouvent tout au long de l’album. Ainsi les larmes de crocodile du piano de « Silver Dream », ou encore l’affliction passagère de la guitare de « Island Of Magic Mirrors » permettent de tisser des histoires au plus près de la réalité, tout en tenant en haleine l’auditeur. Par ailleurs, alors que la plupart du temps les claviers jubilent, on les sent résignés dans l’introduction du morceau à tiroirs « Dawn Of The Winterbird », loin des danses de leurs camarades. Mais avec le vent glacial qui souffle, l’abattement a raison de l’allégresse de ces derniers avant que tous prennent progressivement le chemin d’une contrée plus hospitalière. Dans ces coups durs, le chant plaintif et les harmonies vocales enlaçantes, associés aux nappes brumeuses de claviers, à la guitare introspective et à la flûte endeuillée, offrent une image certes plus terne mais ô combien attachante. On s’y identifie alors d’autant plus que nos vies sont faites de hauts et de bas. Ces instants permettent d’apprécier la versatilité de nos gardiens d’une musique aux multiples facettes.
Avec leur troisième album, Moon Letters donnent à nouveau leurs lettres de noblesse au rock progressif. Leurs opus n’ont vraiment rien à envier à ceux majeurs du genre. Il faut espérer que la communauté leur en saura gré, et qu’un public plus large suivra, leur musique à la fois riche et rythmée pouvant en effet trouver un écho chez les mélomanes de tout bord.