Mildlife – Chorus
Heavenly Recordings [PIAS]
2024
Thierry Folcher
Mildlife – Chorus
Légèreté, fraîcheur, insouciance, sensualité, optimisme, beauté, voilà des qualificatifs que l’on a bien du mal à associer à notre quotidien, de plus en plus obscurci par les nuages sombres d’un avenir pas rose du tout. Les échappatoires sont nombreuses et la musique en fait partie avec une place de choix en ce qui concerne l’équipe de Clair & Obscur et son devoir de distraction, devenu une véritable mission vitale pour elle, comme pour tous ceux qui nous lisent assidument ou occasionnellement. Sur Chorus, le dernier album des Australiens de Mildlife, on retrouve à peu près toutes les attributions citées plus haut avec, de surcroît, le talent, la complémentarité et le savoir-faire de quatre musiciens que rien ne semble devoir perturber, ni même inquiéter. « Musica complete necessity… » (Musique nécessitée absolue…), ce sont eux qui le disent sur « Musica » justement, un des titres les plus chauds et les plus dansants de cet album aussi coloré et attirant que sa pochette, tout en symboles avec les quatre profils guidés par la luminosité d’une même étoile. Mildlife, c’est la douce vie, le laisser-aller et l’insouciance retrouvés. Un nom qui va comme un gant à ce groupe né en 2013 et dont Chorus est le troisième album. Il fait suite à Phase en 2017 et Automatic en 2020, deux beaux échantillons de jazz fusion et de psychédélisme qui étonnent par leur facilité à maintenir, de façon aussi attrayante, un genre musical vieux de plus d’un demi-siècle. Pour ma part, en écoutant Chorus, j’ai vraiment cru que l’école de Canterbury s’était acoquinée d’un groove cosmico-disco des plus envoûtants.
C’est vous dire, qu’avec une telle panoplie et les beaux jours approchant, nos gars de Melbourne risquent fort de nous accompagner au plus près de nos déambulations estivales et de nos interminables soirées entre amis. Ceci n’est pas un décor utopique, mais la recette d’un bien-être à la portée de tous. Chorus, partenaire de choix, où chaque instrument et chaque parole sont les artisans d’une voluptueuse virée dans les recoins les plus nonchalants de nos vies. L’album débute avec la basse très Motown de Tom Shanahan sur l’indomptable « Forever ». Indomptable, car irrésistible, à moins d’être dur comme la pierre ou carrément « dur de la feuille ». Ensuite, la voix androgyne de Kevin McDowell nous harponne gentiment et le spectacle peut alors commencer dans une débauche de rythmes ondulants et de passages prog, jazz ou funky de toute beauté. Les paroles ne sont pas d’une importance capitale et servent surtout à instrumentaliser la voix. Le vocoder, si souvent décrié, trouve ici une convaincante utilisation et une parfaite intégration sur ce premier titre, très encourageant pour la suite. La piste de danse brille de mille feux et « Yourself » y va de sa belle ardeur en nous balançant son thème d’une clarté remarquable. Des notes de synthé toutes bêtes, mais d’une redoutable efficacité sont un peu comme chez Stephen James Wilkinson aka Bibio, lui aussi adepte des petites phrases au clavier qui font mouche à tous les coups et d’un revival disco entièrement assumé (sur son album BIB10 par exemple). Cela dit, ce second morceau se distingue aussi par une véritable démonstration de la guitare « Funky Chic » d’Adam Halliwell. Les frissons rétro sont garantis et même si tout ça n’est pas, à proprement parler, très nouveau, le sourire s’installe et c’est bien là l’essentiel.
À présent, je ne voudrais surtout pas donner l’impression que nos quatre amis australiens manquent de personnalité. Ces deux premiers titres ne sont qu’un des aspects de leurs multiples sources d’inspiration. Sur Chorus, on visite toutes sortes de paysages, très différents et qui proposent d’autres facettes du groupe, comme celle plus rêveuse, qui prend son temps et qui arpente des chemins moins fréquentés. C’est le cas du morceau titre « Chorus » qui du haut de ses neuf minutes nous enveloppe agréablement d’un jazz cosmique, dominé dans un premier temps par les percussions de Jim Rindfleish, la basse de Tom Shanahan et la surprenante flûte d’Adam Halliwell. Puis les claviers de Kevin McDowell font le reste avec une aisance et une présence assez extraordinaires. Alors, même si le balancement est toujours de mise et accentue l’ondoiement naturel du disque, on est passé, malgré tout, dans un autre monde. Cette sensation de relâchement et d’envol sera encore plus marquée pendant les presque dix minutes de « Return To Centaurus », un ultime voyage qui clôt l’album de fort belle façon. Ici, la course vers les étoiles sera l’occasion d’armer la musique d’effets bien sentis où le vocodeur, les claviers, la flûte et surtout la basse seront, à chacun leur tour, les artisans d’un grand moment d’allégresse, assez rare de nos jours. Par ailleurs, amis bassistes, je vous invite grandement à écouter cet album. Il recèle tout ce que votre instrument préféré est capable de générer en matière de groove et de sensualité. L’intro de « Sunrise » par exemple, risque fort de vous séduire et de vous donner des fourmis dans les doigts.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, la musique de Mildlife possède cette capacité, hors du commun, de pouvoir réunir Caravan, Nile Rodgers, Kraftwerk, Alan Parsons et nos compatriotes de Air dans une même communion de sons et de rythmes tout à fait crédible. Cela dit, à l’heure du bilan, les opinions risquent d’être partagées. Pour moi, Chorus a fait gravir une marche supplémentaire au groupe et l’orientation plus immédiate de sa musique aura pour effet d’amener un autre public dans son univers. Mais il n’est pas impossible non plus qu’elle heurte les nostalgiques du caractère un peu moins prévisible et plus artisanal des débuts. C’est l’éternelle confrontation entre une actualité riche, mais plus convenue, et des œuvres de jeunesse dont les tâtonnements et les maladresses sont souvent perçus comme de véritables moments de grâce. En conclusion et sans tomber pour autant dans les idées reçues ou dans un pragmatisme forcené, je crois que l’essentiel est de parler d’eux. Pour finir, si vous voulez faire plus ample connaissance avec Mildlife, je vous conseille de visionner (YouTube) leur Live From South Channel Island, filmé en 2021 au large de Melbourne sur un îlot battu par les vagues et le vent. Moment cocasse, rarement vu, mais superbement bien capté.