Mercury Rev – Born Horses
Bella Union
2024
Fred Natuzzi
Mercury Rev – Born Horses
Que dire de ce nouvel album surprise des Mercury Rev ? Je suis vraiment partagé entre la joie de retrouver une formation qui m’a emmené me balader dans un univers rêveur, avec des accents psychés et progressifs, et la décontenance à l’écoute de l’opus qui, même s’il garde une marque de fabrique, est en spoken words, perdant ainsi une des originalités du groupe. En effet, la voix haut perchée de Jonathan Donahue manque à Born Horses. Par contre, nul doute que Mercury Rev cherche à se renouveler, comme il l’avait fait à l’époque de Deserter’s Songs en 1998. Le groupe avait splitté au bout de deux albums pour revenir avec une nouvelle formation et créer ce disque culte qu’est Deserter’s Songs. S’ensuivirent deux albums de dream pop de haute volée, avec en point d’orgue The Secret Migration en 2005 et ses envolées grandiloquentes, son amour prononcé de la nature, et, parfois, son kitch assumé. Deux opus beaucoup moins convaincants (pour ma part) plus tard, et les Mercury Rev convoquent des chanteuses pour reprendre chacune un titre de The Delta Sweete, un album de 1968 de Bobbie Gentry. Depuis 2019, silence radio. C’est donc le premier disque des Mercury Rev avec des morceaux originaux qui sort depuis 2015. L’attente était si interminable qu’on en est venu à (presque) oublier la formation américaine. Born Horses a donc été une sacrée surprise à sa sortie début septembre, se rappelant à notre bon souvenir. Passé la déception de ne pas entendre Jonathan Donahue chanter (sauf sur un titre), l’univers psychédélique est abandonné au profit de textures jazz qui vont progressivement s’emballer et devenir pop puis rock à la fin du disque. Un voyage cinématographique habillé d’envolées aériennes sur des textes flirtant avec la poésie et… le ridicule. Heureusement, cette tendance à l’altitude est aussi portée par la déclamation de Donahue, mais on en arrive presque à se dire que, tant qu’à faire, l’album aurait été meilleur sans la voix. Les thèmes abordés errent de l’observation de la nature aux atermoiements du cœur, en passant par des réflexions semi-abstraites. Pas forcément ce qu’il y a de mieux dans Born Horses donc. Cependant, force est de constater que la musique, elle, assure. Déjà il y a changement de line-up, puisque, outre Donahue et le guitariste Grasshopper (qui utilise très peu sa guitare ici), arrivent aux claviers Marion Genser et au piano et mellotron (eh oui !) Jesse Chandler. Notre quatuor s’entoure de toute une flopée d’invités à la basse, la batterie, les cordes et les cuivres. Cela donne un son nouveau, teinté d’onirisme, typique de la dream pop, élégant, racé, mais inégal, voire un brin répétitif selon les morceaux.
« Mood Swings » prend son temps sur plus de sept minutes, et installe un paysage jazz, comme une virée nocturne en ville où l’on irait admirer les lumières de la nuit. Surprenant et intrigant, on se laisse porter par la voix de Donahue et l’instrumentation luxuriante de ce titre. Atmosphère irréelle, trompette songeuse, on est comme suspendu, hors du temps. Bluffant. « Ancien Love » continue la virée, à peu près sur le même mode jazz et volupté et aussi sur la longueur ! Ce début de morceau avec sa guitare et son piano fascine, ainsi que les interventions des cuivres. Cependant, la voix parlée commence déjà à lasser, malgré la sincérité qui se dégage de l’ensemble. Dommage, il n’y a pas de second disque avec les versions instrumentales… Le degré de fascination, d’hallucination même, suffit à nous emporter dans un tourbillon d’images sonores. Il faut accepter de se laisser embarquer dans ce trip, au risque de se faire éjecter très vite de cet univers. Hautement anti-commercial donc. « Your Hammer, My Heart » continue de superposer des couches musicales pour porter le texte de Donahue, toujours dans cette tendance jazzy, avec un solo de sax et des cordes féeriques. Le rêve éveillé dans lequel on se demande où l’on est tombé, émerveillé par le décor en guimauve sur la gauche, bien qu’un peu repoussé par la rivière en chocolat qui déborde sur la droite. C’est sucré, on aime bien, mais faut pas en abuser. Les Mercury Rev, eux, ne doivent certainement jamais cligner des paupières.
Plus posée, l’intro de « Patterns » rassure, avant que ce ne soit Donahue qui surjoue cette fois-ci. Sa façon trop appuyée d’énoncer des évidences tombe un peu dans le ridicule. Il voit des schémas ou des modèles partout, et il hallucine. Jonathan, les substances hallucinogènes, c’est pas bien ! On retrouve un peu l’ancien Mercury Rev dans « A Bird Of No Address » où Donahue chante, parle et murmure. L’orchestration s’emballe dans le grandiloquent, mais permet à Donahue de montrer que sa voix est encore là. Plus de trace de jazz ici. « Born Horses » possède un très beau violon, avant qu’une partie de sax ne ringardise un poil le tout. Dommage, car ce morceau, moins complexe, est superbe : une belle ballade en soi. « Everything I Thought I Had Lost » évoque les disparus, mélancolique à souhait et très beau. Le piano et la batterie sont les maîtres du jeu, tandis qu’en fond aérien s’entendent trompette et chœurs, le tout se développant sur six majestueuses minutes. En état de grâce. Une des plus belles réussites de l’album. Enfin, retour à un rock dynamique avec « There’s Always Been A Bird In Me », au tempo si urgent et si surprenant. La voix de Donahue n’a jamais été aussi grave, mais on passera sur le texte… Une conclusion qui tranche fortement avec le reste de l’album, et qui, si elle avait été chantée, aurait pu être un grand morceau.
Mercury Rev est un groupe complexe, rare, et qui cherche à se diversifier. Le parlé chanté de Jonathan Donahue est un choix surprenant, qui rebute parfois, mais si bien dominé par moments. En résulte un Born Horses inégal, porté par une instrumentation hors pair, flirtant occasionnellement avec l’écœurement du « trop », mais qui a le mérite de peindre un univers totalement en phase avec le style qu’a adopté Mercury Rev depuis Deserter’s Songs. Il aura la vertu de mieux rester dans les mémoires, bien plus que Snowflake Midnight ou The Light In You, les deux derniers opus du combo. Fascinant et déconcertant, c’est bien plus finalement que la plupart des disques qui sortent actuellement.