Maya Ongaku – Approach To Anima
Guruguru Brain
2023
Thierry Folcher
Maya Ongaku – Approach To Anima
Hasard des publications, timing improbable, me voilà confronté coup sur coup à deux facettes bien distinctes de la création musicale japonaise. Deux mondes presque opposés ne relevant pas du même niveau émotionnel ni même culturel. La luxuriance et la pétulance des symphonies de Joe Hisaishi n’ont en effet que peu de choses en commun avec les méditations minimalistes de Maya Ongaku. Ce qui les réunit, c’est le Japon avec son arsenal unique de mentalités, de traditions et la volonté d’offrir la meilleure partition possible. Question de prestige bien sûr, mais aussi d’éducation. Lorsque j’ai découvert Approach To Anima, j’ai vraiment douté de son origine et ce n’est qu’en approfondissant le sujet que j’ai pu faire plus ample connaissance avec ses créateurs, un improbable trio originaire d’Enoshima, une petite île située à quelques encablures de Tokyo et de Yokohama. Histoire d’éclairer les choses (si l’on peut dire), j’apprends que les gars de Maya Ongaku veulent nous faire explorer ce qui se situe au-delà de notre champ de vision. Une indication assez vague certes, mais qui ouvre une première porte sur la philosophie et l’orientation artistique du groupe. En fait, ce sont des voyages rêveurs, à l’allure traînante, que les huit titres de l’album vont nous offrir sans la moindre prétention intellectuelle ni aucun message affiché. Une errance tout en douceur qui berce l’auditeur par la magie des mélodies, le chant envoûtant et pas mal de trouvailles sonores. Je suis malgré tout bien obligé de vous avertir que de décibels bruyants, de riffs tranchants et de débauches physiques, il n’y en aura point sur ce disque. On baigne plutôt dans une sorte de new age acoustique aux effets proches de la musique folk et du psychédélisme enfumé, si vous voyez ce que je veux dire. Ici, les images frénétiques et aliénées d’un Japon industriel sont à bannir pour ne retenir qu’un étonnant ralenti balnéaire et touristique assez peu connu chez les japonais. Un monde où les gens s’assoient pour discuter musique, art et collection de vinyles.
Comme son nom l’indique, Approach To Anima s’intéresse aux origines du mouvement, même si la sensation de mise au ralenti (voire d’arrêt) domine tout au long du disque. Nos trois amis d’enfance, en dépit des influences bourgeoises d’Enoshima, veulent aller au-delà de ce cadre idyllique et fabriquer une musique qui les libère d’une forme d’engourdissement. Et c’est là que la démarche de Maya Ongaku prend toute son importance, car malgré les apparences, le monde visible n’offre qu’un aspect restreint de la réalité, une illusion qui peut cacher l’essentiel. Et c’est ainsi que la voix et la guitare de Tsutomu Sonoda, les lignes de basse de Ryota Takano, le saxo et les percussions de Shoei Ikeda vont s’employer à rendre cette expérience possible et très agréable. Sans vouloir minimiser le travail de ses deux compères, Tsutomu Sonoda est à l’origine de presque tout, y compris la pochette. La musique et les paroles, c’est lui et l’origine du concept également. Sa visiondu monde vivant à partir de la matière inerte est bien sûr à prendre avec précaution et je ne pense pas trop m’éloigner de l’essentiel en me concentrant sur la musique très troublante et suffisante à mon bonheur. Le premier morceau, logiquement intitulé « Approach », introduit tout doucement le disque dans un style psychédélique où le saxo, plutôt pépère et proche de la voix humaine, étonne et rivalise avec une flûte pleine de fougue. Deux instruments à vent, deux comportements pour un titre assez court et pas forcément instructif sur les desseins de cet album. Il faudra tout écouter et tout se repasser pour vraiment vivre pleinement l’expérience sonore à laquelle nous invite le groupe. La seconde balise au joli nom de « Nuska » sera beaucoup plus édifiante avec notamment les premières mélopées envoûtantes de Sonoda. Le chant en japonais ajoute du mystère et nous fait plonger directement dans un monde onirique plutôt accueillant. Au diable la compréhension, on est très bien dans cette ambiance feutrée que la flûte très inspirée s’efforce de rendre champêtre.
L’aspect méditatif est omniprésent et les outils utilisés bien connus. Il y a le leitmotiv souterrain de « Description Of A Certain Sound » qui vous enveloppe et ne vous lâche plus, il y a surtout les longues et lourdes vagues de « Water Dreams » aux résonances bucoliques et puis, tout l’attirail de sons de la nature ajustés au plus près des mélodies et des rythmes. Mais la grande attraction de Approach To Anima n’est pas dans ce registre, il faut bien le dire, pas mal exploité. Ce qui attire et finit par séduire, c’est la beauté des compositions. « Melting » par exemple, est d’une finesse extraordinaire avec ses magnifiques notes de synthé et son rythme chaloupé assez surprenant. Le chant et les chorus s’apparentent à une berceuse à peine troublée par une crécelle et un saxo plein d’écho. De son côté, « Something In Morning Rain » surprend avec sa guitare baignée de soleil californien et ses arrangements pleins d’opportunité. Tout est cohérent, les « dings » du triangle au bon endroit, la flûte toujours aussi charmante et le balancement des arpèges de la guitare acoustique dans le bon tempo. Abstraction faite de la langue, voilà un morceau que l’on a du mal à croire fabriqué au pays du soleil levant. C’est en fait le constat général de cet album sans frontières et sans aucune manie typiquement locale. Maya Ongaku peut s’exporter sans crainte et surtout sans regard appuyé vers une culture trop souvent caricaturée. J’aimerais revenir sur les dix minutes de « Water Dreams » car ce titre est à situer parmi les meilleures partitions ambient du moment. Le climat apaisé du début, dans lequel se débat un saxo toujours aussi lointain, ne sera dérangé que par le chant mélodieux et les phrases de synthés calées sur un thème devenant de plus en plus ensorcelant. Le déroulé de ce titre se fait sans heurts et à la cadence d’une barque qui glisse doucement sur une onde apaisée. J’ai vécu ce beau moment comme l’offrande d’une expérience relaxante et profondément libératrice. Enfin, c’est « Pillow Song » qui se charge de terminer l’album avec la même nonchalance et les mêmes qualités mélodiques rencontrées depuis le début. Seule la fin s’affole comme si tout allait s’animer et nous sortir enfin de cet oreiller bien trop moelleux.
Même si je n’ai pas très bien saisi le concept de Approach To Anima, je me suis laissé envoûter sans peine par l’élégance des mélodies et l’hospitalité des atmosphères ouatées de l’album. Le Japon, grand pays culturel, nous a toujours étonnés par sa représentation artistique du monde, la plupart du temps avec des codes et des sons bien à lui. Ici, rien de tout cela. La musique de Maya Ongaku est universelle et profondément ancrée dans la mouvance occidentale. Seul le parler japonais nous oriente un petit peu, mais à l’instar de certaines langues anciennes, tout aussi impénétrables, il faut le voir comme une musique, un instrument capable d’émotions. Je vous conseille vraiment d’écouter cet album et d’oublier les interrogations habituelles liées à la consommation musicale (avenir, ventes, concerts…). Pour Maya Ongaku cela ne représente rien, car voir au-delà des choses visibles nous sort évidemment de la routine et de ses rituels plutôt lassants. Avec eux, ce petit pas de côté vous fera un bien énorme, croyez-moi.
belle expérience….envoutant…..et belle découverte