Magnésis – Légendes De Nos Campagnes

Titre: Légendes De Nos Campagnes
Auteur: Magnésis
Éditeur: Musea
Date de sortie: 2021
Chronique de: Thierry Folcher

Magnésis – Légendes De Nos Campagnes

Séance de rattrapage. Dans le monde restreint du rock progressif à la française avec des textes en français, il y a une montagne, un pic, une éminence qui malheureusement fait de l’ombre à tout le reste. Je veux parler bien sûr de Ange, l’incomparable formation de Christian Décamps, toujours vaillante et toujours aussi inspiratrice pour bon nombre de groupes, tentés par des orchestrations riches, théâtrales et des textes empreints de poésie, de légendes et de chevaleresques épopées. À l’époque héroïque des premiers conquérants, ils ont été nombreux les suiveurs de qualité, rivalisant de talent et d’ingéniosité pour rallier un public friand de pulsations rock, de frissons prog et de textes bien écrits. Je pense notamment à Mona Lisa, à Malicorne ou plus récemment, à XII Alfonso, le petit bijou des frères Claerhout. Des alternatives à Ange qui ont trouvé leur public et dont le souvenir, toujours aussi vivace, ne peut laisser indifférent toute une génération de fans, bien mal dans leurs baskets avec les musiques actuelles. Malheureusement pour eux (et pour moi), c’est la nostalgie qui l’emporte, car les grandes heures des formations progressives aux discours alambiqués et aux prestations costumées, font désormais partie de l’histoire ancienne. Il faut bien reconnaître que le monde d’aujourd’hui n’incite pas les gens à s’asseoir, à prendre le temps d’écouter et à consommer dans la durée. Mais rassurez-vous, tout n’est pas mort, il y a malgré tout quelques îlots de résistance qui valent la peine qu’on s’y intéresse et qu’il serait bien dommage d’ignorer. Cette chronique, que je vois comme une forme de justice, va revenir sur l’album Légendes De Nos Campagnes publié en 2021 par les bourguignons de Magnésis. Un groupe miracle, qui n’a pas craint de nager à contre-courant pour rester fidèle à ses influences majeures que sont Genesis, Marillion, Pendragon et bien entendu Ange.

Magnésis n’est pas, à proprement parler, un petit nouveau. Son histoire remonte à la fin des années 80 et affiche pas moins de douze albums à son actif. Parmi les dernières publications, on retiendra les histoires médiévales de La Dame De Braise (2015), le conte revisité d’Alice Au Pays Des Délires (2019) et la tragique histoire de La Bête Du Gévaudan (2020). Des sources d’inspirations ancrées dans la mémoire populaire et toujours magnifiées par la voix pleine de charme d’Éric Tillerot. Un musicien/auteur/compositeur/chanteur/conteur de grand talent que l’on peut découvrir sur le récent témoignage vidéo de Magnésis Fête Ses 30 Balais Au Crusoé. S’il fallait ne retenir qu’une seule qualité de Magnésis, ce serait peut-être sa capacité à rassembler les générations et à proposer un spectacle accessible à tous. Des tout-petits aux vieilles barbes, ils seront tous là, dans une même communion où la tradition et les valeurs familiales se transmettent naturellement. Pas étonnant que l’on découvre la phrase : « A écouter sans modération dans la chaleur du foyer... » à l’intérieur du livret de Légendes De Nos Campagnes. Ce ne sont là que quelques éléments qui doivent vous inciter à rester, mais qui peuvent aussi vous faire fuir… Pour ma part, je vous engage à ne pas bouger et à vivre à fond ces légendes, sans retenue ni questionnement. Éric Tillerot nous apprend que ce disque rend hommage aux conteurs du pays Auxois/Morvan et clôt la trilogie commencée par La Dame De Braise et Prés En Bulles... Voilà, maintenant que vous êtes bien renseignés, il est grand temps d’entamer ce voyage qui va nous transporter vers nos souvenirs d’enfance et vers ces histoires, souvent rabâchées, mais ô combien, réclamées. Le périple, de plus d’une heure, se lance sans surprise par la locomotive de « Une Visite A La Campagne », un premier titre instrumental bien servi par des claviers tous droits venus de la tradition progressive d’antan. Les clins d’œil à Genesis (« Dodo/Lurker ») ne sont pas accidentels, ils sont juste le témoignage d’une reconnaissance et d’une appartenance à cet univers magique que Magnésis fait revivre avec un réel savoir-faire.

Vous verrez, ce premier morceau est une petite merveille de symphonie progressive capable de nous sortir instantanément de nos torpeurs habituelles. Son enchaînement avec « Dans La Chaleur Du Foyer » se fait en douceur et nous dévoile le timbre si caractéristique d’Éric Tillerot. Les paroles sont forcément touchantes et nous renvoient à nos propres expériences et nos propres souvenirs. La beauté de la musique apportera, quant à elle, ce fameux plus qui peut transformer le banal du quotidien en formidable aventure. Il y a aussi, ce petit côté naïf et vulnérable qui montre à quel point le travail artisanal peut être beau et accessible. Ici aussi, on entrevoit les claviers de « Entangled », mais qui va s’en plaindre ! Certainement pas moi. Ensuite, le rythme s’accélère un peu avec « La Jeune Fille Et Le Diable », une belle ritournelle moyenâgeuse où la batterie de Denis Codfert renforce l’idée de groupe rock, bien armé pour la scène. Les trois titres suivants : « Dis-Moi… », « A L’Est Rien De Nouveau » et « Camille » vont revenir sur les années de guerre, racontées à mi-voix au petit Éric et certainement édulcorées. Par ailleurs, les amateurs de Genesis (décidément, la grande influence du disque) ne manqueront pas de retrouver des airs de « Snowbound » sur « Dis-Moi… », et là aussi on apprécie. Et puis, le très émouvant « La Vieille » rappelle le sacrifice et le dévouement des petites gens. Une histoire commune chez beaucoup d’entre-nous, dont il faut absolument perpétuer le souvenir. Pour finir, c’est le gros pavé de « Légendes Au Coin Du Feu » qui fera défiler, sur presque 30 minutes, des histoires fantastiques et troublantes. L’alternance, narrations, textes chantés et passages musicaux va trouver ici un bel équilibre qui rendra la chose comestible et attrayante, malgré les difficultés que réclame un tel exercice. La musique est souvent recueillie et colle parfaitement aux ambiances glauques de ces légendes populaires, racontées aux enfants le soir au coin du feu, une fois les labeurs terminés. C’est une franche réussite qui peut figurer, sans peine, parmi les plus belles pages du rock progressif français. Enfin, avec « Épilogue », c’est le piano d’Ivan Jacquin qui clôt en beauté cet album étonnant que l’on voit s’achever, presque à regret.

Avec Légendes De Nos Campagnes, Magnésis a probablement réalisé un de ses meilleurs albums et partagé avec nous, un de ses plus captivants voyages au pays des belles histoires et des émotions sincères. Je ne crains pas de dire que l’on a affaire à un excellent groupe dont le leader charismatique semble rempli d’assez d’énergie pour se lancer dans de futurs projets. Au moment où j’écris ces lignes, Magnésis s’apprête à sortir Neige En Décembre, un treizième album, entièrement instrumental, aux influences annoncées de Mike Oldfield et d’Anthony Phillips. De quoi saliver à l’avance. Malgré le peu d’éclairage que l’on accorde à cette musique je suis absolument certain qu’elle trouvera toujours le soutien d’un public fidèle et d’une partie des médias, même si cela arrive un peu tard pour Clair & Obscur.

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