Luther Dickinson, John Medeski, Johnny Vidacovich & Dominic Davis – Mississippi Murals
Spaceflight Records
2024
Lucas Biela
Luther Dickinson, John Medeski, Johnny Vidacovich & Dominic Davis – Mississippi Murals
La carrière de Luther Dickinson baigne dans le blues, et plus particulièrement le blues-rock. On a en effet pu voir le guitariste avec les North Mississippi Allstars (co-fondé avec son frère Cody) et avec les Black Crowes. Ce blues, il est toujours présent sur l’album Mississippi Murals, mais il y côtoie les territoires émancipés du jazz et de la musique psychédélique. À la lecture des titres des morceaux, ce projet collaboratif semble graviter autour d’astres. Il n’en est rien puisqu’il s’agit en fait de sept fresques murales peintes par le Néo-Orléanais Walter Inglis Anderson en 1951, et représentant des paysages du sud des États-Unis. Luther a voulu reproduire en musique l’émotion suscitée par ces images. Pour atteindre son objectif, il s’est entouré du claviériste John Medeski (Medeski, Martin & Wood, John Zorn), du bassiste Dominic Davis (également des North Mississippi Allstars mais aussi fidèle collaborateur de Jack White & Buddy Miller), ainsi que du batteur Johnny Vidacovich (Astral Project, Professor Longhair, Dr. John…).
Sur le versant psychédélique, en regardant par une fenêtre donnant sur de grands espaces, « Venus – Inherent 69 » présente de lentes montées en puissance intervenant tels des clins d’œil au fameux « Astronomy Domine » de Pink Floyd. De très beaux appuis de la batterie y soutiennent ces ascensions progressives des notes de Luther et John, avant que celles-ci ne convergent. Plus loin, autour d’un rythme blues se construisant brique par brique, mais avec prudence, et autour de claviers distraits, « Mercury – Blues For Trees II » fait revivre l’idiosyncrasie de Bill Frisell dans les sentiments mêlés de la guitare.
Avec « Uranus (Hershel) – Demented Augminished », c’est véritablement ancré dans la structure que le blues apparaît, et non plus simplement en filigrane. Sur un rythme lent, mais quelque peu libre dans ses mouvements, on retrouve alors ce piano frétillant si cher à Otis Spann. Et comme nos amis aiment nous surprendre, une atmosphère plus lugubre suit dans la deuxième moitié du morceau avec une descente régulière vers le spleen tant dépeint dans le blues. Voici une pièce bien surprenante où ce changement soudain de coloration met néanmoins bien en exergue l’entente entre les musiciens. Le piano se fait plus confidentiel sur cet autre blues qu’est « The Moon – Autumn In Winter ». A nouveau cependant, nous voilà pris de court, avec ce regard plus enjoué quand les balais sonnent la fin du songe et la guitare émet des volutes sinueuses. Notre étonnement ne s’arrête pas là puisque ces dernières se mettent à trembler dans les effets que Luther met dans son jeu. Le blues, toujours lui, frappe de son sceau un « Saturn – Either/Or » qui ferait presque penser à un doo-wop de derrière les fagots s’il était accompagné d’un quintet vocal à la Impressions ou Persuaders. Et toujours dans cette volonté de nos musiciens de nous surprendre, des ambiances élégantes dignes d’une bande-son d’Henry Mancini s’invitent même à la table du festin.
Des morceaux plus rythmés figurent également sur l’album. Ils fleurent bon l’époque bénie du jazz-funk et du jazz-rock : par l’apport d’un Hammond exubérant, on pense notamment aux productions du Brian Auger’s Oblivion Express. Ainsi, avec « Mars – Speaking In Tongues » c’est un échange peu avare en notes qui s’opère entre les attaques de Luther et les va-et-vient de John. « Jupiter – Ying Yang » secoue tout autant, en marchant toutefois avec davantage d’assurance. La pièce présente une fierté renouvelée dans la communication toujours soutenue mais plus affirmée entre les petites bulles qui se forment à la surface de l’instrument de notre leader et la lave abondante projetée depuis la console du compagnon de longue date de Billy Martin et Chris Wood. Dans leur association, on pourrait presque voir ces éléments monter les escaliers menant au ciel.
En somme, Luther Dickinson nous prouve avec Mississippi Murals que le blues offre d’innombrables possibilités musicales. Même si c’est avec le jazz que ce style s’acoquine dans ce disque, de nombreux autres éléments interviennent, sans toutefois que l’ensemble n’en souffre ni ne devienne informe. Par ailleurs, aux côtés des désormais bien connus John Medeski et Dominic Davis, l’on peut découvrir les talents aussi bien rythmiques que mélodiques de Johnny Vidacovich. Celui-ci, même si sa réputation n’est plus à faire dans sa Nouvelle-Orléans natale et dans les cercles jazz où il tourne depuis près de cinq décennies (il est le plus vieux de la bande), n’en reste pas moins inconnu du grand public. Si vous souhaitez découvrir le blues dans un autre contexte qu’à l’accoutumée, faites profiter vos oreilles de ce disque… et vos yeux des fresques murales de Walter Inglis Anderson.
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