Live Report Les Oeuvres de Missy Mazzoli interprétées par le BBC Symphony Orchestra, Londres, 25 février 2024

Live Report Les Oeuvres de Missy Mazzoli interprétées par le BBC Symphony Orchestra, Londres, 25 février 2024
Missy Mazzoli
2024
Lucas Biela

Live Report Les Œuvres de Missy Mazzoli interprétées par le BBC Symphony Orchestra, Londres, 25 février 2024

Live report Missy Mazzoli

Missy Mazzoli commence à se faire un nom avec ses opéras (qui n’a pas vu l’affiche de Breaking The Waves sur les colonnes Morris de Paris ?). Mais c’est avec sa musique instrumentale que je l’ai découverte, et plus spécifiquement avec l’album Atmosphériques Vol. 1. Celui-ci met en lumière des pièces ayant un rapport avec l’espace. Parmi les compositeurs islandais qui y sont mis en avant, on retrouve pourtant notre compositrice américaine. Sa « Sinfonia » orbitant autour du système solaire, elle y avait en effet toute sa place. Un an plus tard, c’est en faisant quelques recherches de concert que je tombe sur une journée lui étant entièrement consacrée au Barbican Hall de Londres. Le Barbican organise en effet régulièrement des journées de découverte du monde musical de compositeurs actuels, appelées « Total Immersion ». Lors de celle consacrée à l’étudiante de David Lang et Louis Andriessen, le programme est partagé entre des rencontres et des concerts. C’est celui qui présente son œuvre orchestrale qui m’intéresse.

Je suis à Londres une grande partie du mois de février, et c’est le 25 février, le lendemain de mon anniversaire et de celui de mon frère jumeau, qu’est prévu un panorama de la carrière de la compositrice du même âge que le nôtre. Normalement, me rappelle mon frère, « le weekend c’est family time ». Mais que voulez-vous, on ne choisit pas les dates de concert. Nous nous rendons donc pour la première fois au Barbican. Nous décidons de sortir deux stations de métro avant pour nous dégourdir les jambes. Mis à part le marché, le quartier n’a guère d’attrait. Et cela ne s’arrange pas lorsque l’on arrive au Barbican, un immense centre regroupant des logements et un centre culturel. « Ne s’arrange pas », car ce centre présente une architecture brutaliste. Oui, vous savez, ces constructions colossales en béton brut que l’URSS a accueillies à bras ouverts. Quel contraste entre cet extérieur repoussant et les sons plus attirants qui nous attendent à l’intérieur du Barbican Hall ! Cependant, vous verrez plus loin que la deuxième composition avec, selon les mots de Missy, une atmosphère « brooding » (sombre), permettra de faire un trait d’union avec le caractère oppressant des bâtiments composant le Barbican. Quelques mots d’ailleurs sur ce brutalisme que l’on ne voyait pas venir lors de notre promenade. Il n’a échappé à personne que la Seconde Guerre Mondiale a causé des dégâts, tant sur le plan humain que sur le plan matériel. Il fallait donc reconstruire là où les bâtiments n’étaient plus qu’un tas de ruines. Le brutalisme, sous l’impulsion de Le Corbusier, était alors en vogue. Et Londres semble avoir été séduite par le mouvement. C’est à la fin des années 50 qu’il a été décidé de construire un grand centre dans ce style. La construction s’est étalée sur vingt ans et a donné au Londres d’après-guerre l’une des plus grandes vitrines du brutalisme, aujourd’hui autant source de fascination que de critique.

Live report Missy Mazzoli Band 1

Le Barbican Hall, grande salle de concerts où se produit régulièrement l’orchestre symphonique de la BBC, fait partie de cet ensemble d’édifices. Et c’est là que l’on a rendez-vous avec la musique de Missy Mazzoli. Comme c’est un dimanche et à l’heure du déjeuner, la salle n’est pas comble. Avec mon frère, nous sommes tout près de la scène (on voit nos têtes dégarnies en bas à droite de la troisième photo illustrant ce compte-rendu). La compositrice, avec son haut flashy qui ne manque pas d’attirer les regards, vient présenter ses œuvres, l’occasion d’en savoir un peu plus sur leur genèse. C’est avec la pièce qui me la fait découvrir, « Sinfonia (For Orbiting Spheres) », que le programme démarre. Quelque part entre Gustav Holst et John Williams, c’est véritablement une « immersion totale » dans l’espace intersidéral. La sinfonia étant également le nom donné aux compositions jouées à la vielle à roue, on y retrouve également des tonalités proches. C’est dans le concerto pour violon qui va suivre, nommé « Procession » et construit en cinq mouvements – reprenant chacun un rituel – que l’on va être à nouveau en « immersion totale », cette fois-ci dans une atmosphère sombre. Mon frère me soufflera même « Eh bé, ça ne respire pas la joie ». C’est là qu’interviendra la soliste Elina Vähälä, toute de bleue vêtue. C’est pourtant le rouge qui caractériserait le mieux son tempérament de feu. En effet, la passion transparaît non seulement dans son jeu, mais également dans ses mouvements. On la voit en effet taper du pied, froncer les sourcils, et même souffler pour mieux appuyer l’âpreté de son jeu. Pari gagné, les cordes et la soliste ont bien su retranscrire l’effroi et l’obscurité qui doivent ressortir d’une époque où sévissait la Peste Noire. La suite voit la lumière revenir mais les nuages ne sont jamais très loin.

Live report Missy Mazzoli Band 2

Avec « These Worlds In Us », que la compositrice dédie à son père pilote pendant la guerre du Vietnam, et faisant écho aux souvenirs accumulés au cours d’une vie, nous sommes conviés à un patchwork de sons évoquant aussi bien l’accordéon que le gamelan, ou encore les marches militaires. Les violons ascendant et descendant brutalement (qui a parlé de brutalisme ?) alternent avec des motifs plus aériens. Les percussions prennent des couleurs aussi sombres que chatoyantes. Les flûtes sonnent tour à tour insistantes et lumineuses. Le tableau offre ainsi un clair-obscur saisissant. Avec « Orpheus Undone », concluant le set, c’est cette fois-ci une « immersion totale » dans un monde plein de contrastes. Sorte de ballet-suite qui reprend le fameux mythe d’Orphée, c’est sur fond de percussions obsédantes que des violons tour à tour désorientés et inquiets croisent des bois et des cuivres menaçants. Le piano vient redonner de l’espoir, les violons prenant alors une tournure plus radieuse. Mais l’orage ne tarde pas à gronder : on sera saisi par ces cordes, dont le destin ne tient plus qu’à une corde. A l’instar du piano, la harpe fera éclore les bulbes et l’espoir pourra renaître.

Live report Missy Mazzoli Band 3

De là où je suis, je ne peux voir que les instruments à corde (ils occupent en effet tout le devant de la scène !). Mais en me penchant de-ci de-là, je peux deviner les cuivres, les bois, le piano, la harpe, et les instruments électroniques et percussifs. La disposition des cordes est assez originale : du plus petit au plus grand, des violons à gauche aux contrebasses à droite. La cheffe d’orchestre, Dalia Stasevska, à la manière de la soliste qui sera à ses côtés durant le concerto pour violon, imprime certes des mouvements à sa baguette et à la main opposée, mais également à l’ensemble de son corps. On la voit piétiner, se déhancher à droite à gauche, et souffler. La passion, c’est le maître-mot pour ces deux femmes qui ont su animer l’espace d’1h15, et avec bien entendu l’aide du brillant orchestre symphonique de la BBC, des pièces contrastées sur le plan des atmosphères, mais d’une grande force vitale. Missy Mazzoli, la troisième femme, et non des moindres, puisque sans elle les œuvres n’auraient pas vu le jour, est une compositrice à suivre dans le monde de la musique.

https://www.facebook.com/missy.mazzoli

 

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