Live Report – Hommage : UK – Night After Night
E.G. Records
1979
Il y a des concerts qu’on n’oublie pas, non pas seulement parce qu’ils étaient magnifiques et joués par des géants, mais aussi parce qu’ils vous ont pris un peu par surprise et qu’on les a reçus en pleine face, sans la préparation adéquate, et qu’ensuite on les rumine, essayant de comprendre enfin ce qu’on avait pas saisi à l’époque. J’en ai plusieurs comme ça au fond de ma caboche, dont un tout spécial, qui concerne UK. C’était le 13 mars 1979, j’ai retrouvé la date, au Stadium, à Paris dans le 13ème, une salle qui n’existe plus mais associée pour moi à d’autres concerts indélébiles, comme un de Klaus Schulze et un autre de Malicorne.
Ce soir-là, donc, j’étais avec un copain qui m’avait dit que puisque j’adorais Emerson, Lake & Palmer, il fallait absolument que je découvre UK et que, justement ce concert serait la bonne occasion. Je vous parle là d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. En ce temps béni, il y avait d’incroyables groupes de rock en tous genres qui donnaient en permanence d’impensables concerts pas trop chers. Et à chaque fois que j’en avais l’occasion, je m’en faisais un. Alors pourquoi pas UK ce soir-là ? Un groupe similaire à ELP ? Ok, j’y vais.
Ouaaaah !!! Quelle claque !!! Eddie Jobson totalement sidérant à ses claviers et au violon, Terry Bozzio déchaîné tout autant qu’impérial derrière ses fûts, et John Wetton aussi puissant à la voix qu’à la basse. Difficile de rendre par écrit tout le prodigieux de ce concert, et même en écoutant l’album live Night After Night, enregistré au Japon, on a du mal à saisir l’hallucinant trio de sublime folie musicale qu’était UK à l’époque. Il faut dire que les musiciens de groupe n’étaient certainement pas n’importe qui et que le groupe lui-même n’était certainement pas n’importe lequel. Je m’explique.
A son début, UK était un quatuor, mais d’un niveau impossible à conceptualiser de nos jours. Citons d’abord Allan Holdsworth, un guitariste monumental, toujours en quête de perfection et de nouveauté technique ou stylistique, ayant officié dans rien moins que Gong ou Soft Machine, et ayant aussi participé aux deux premiers albums de Bill Bruford, lequel est notre deuxième homme. De son vrai nom William Scott Bruford, mais les intimes et les fans l’appellent Bill, c’est un de ces batteurs tout-temps et tout-terrain seulement capable du meilleur dans des formations aussi stratosphériques que Yes, King Crimson ou Genesis. Et puisqu’on vient de parler de King Crimson, évoquons notre troisième homme, qui a été son claviériste lors d’une tournée aux USA, Eddie Jobson. Avec lui encore, nous restons en pleine stratosphère. Imaginez un peu que ce gars-là, qui est aussi un fabuleux violoniste, a joué dans des groupes aussi ébouriffants que Roxy Music, Jethro Tull ou Curved Air, sans même encore dire qu’il a également officié avec l’inénarrable Frank Zappa. Et voici enfin, last but not least, notre quatrième homme, John Wetton, qui a joué de la basse et chanté dans Mogul Thrash, Family, King Crimson, Roxy Music, Uriah Heep et Wishbone Ash avant de participer, plus tard, à l’épopée d’Asia.
Voilà, c’était tout ça UK à ses débuts, un super-groupe comme on n’en verra jamais plus. Et le premier album fut à la mesure de la démesure de cette formation, commençant avec l’intense « In the Dead of Night », juste pour vous projeter dès le départ dans le top du top de ce qu’on fait de mieux en matière de rock sophistiqué. Bon, ok, ce quatuor de légende n’a pas duré. Allan Holdsworth et Bill Bruford sont partis, remplacés par seulement Terry Bozzio à la batterie, lequel avait tout de même officié lui aussi auprès de Frank Zappa, ce qui vaut tous les diplômes ultra-qualitatifs en matière de rock. Cependant, cette réduction d’effectif n’allait pas être sans la très notable conséquence d’obliger l’époustouflant Eddie Jobson à se démultiplier derrière ses claviers et au violon, et plus particulièrement sur scène.
Et c’est donc ce trio survitaminé, ayant sorti un deuxième album tout aussi superlatif que le premier, simplement plus immédiatement accessible pour les non-initiés, que j’ai pris en plein front. Et quand vous prenez « Night After Night », « Rendez-vous 6.02 » et « Nothing to Lose » en version direct live en pleine figure, pour ne parler que de ces morceaux-là, ça vous secoue jusqu’aux tréfonds des boyaux, je vous le garantis. Bon, je pourrais vous parler sans fin de John Wetton se démenant comme dix démons à son micro et à la basse. Ok, je pourrais vous narrer aussi Terry Bozzio tel un dément emprisonné par une forêt de cymbales et de fûts, et quel solo il nous a fait avec ça, juste phénoménal ! Mais en tant que fan de claviers et de synthés, c’était forcément Eddie Jobson qui retenait mon attention. Très très très impressionnant aux commandes de ses Minimoog, orgue Hammond et autres Prophet 5 et CS-80, le bonhomme, plutôt fin et un brin mystérieux, le fut tout autant au violon, et c’est encore peu dire !
Voilà, je pourrais en écrire tellement plus sur ce concert-là, mais le mieux pour vous est d’écouter encore et encore l’album live Night After Night. Je ne peux évidemment pas terminer cette évocation sans saluer la mémoire de l’immense John Wetton, qui vient très douloureusement de nous quitter.
Frédéric Gerchambeau
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