Live report Choeur Variatio + solistes de l’ensemble Allegri + l’ensemble Les Muses Galantes à Combs-la-Ville le 2 février 2024

Live report Choeur Variatio + solistes de l’ensemble Allegri + l’ensemble Les Muses Galantes
Requiem Jean Gilles
2024
Lucas Biela

Live report Choeur Variatio + solistes de l’ensemble Allegri + l’ensemble Les Muses Galantes à Combs-la-Ville le 2 février 2024

Live report Choeur Variatio

Aujourd’hui, je vais à la messe. Je sais, on n’est pas dimanche, mais je vais quand même à la messe. Enfin pas n’importe quelle messe. Celle-ci ne célèbre pas les vivants, mais les morts. On parle de requiems en référence à la phrase introductive de ces œuvres : « Requiem aeternam dona eis, Domine ». Alors oui, à l’origine composées pour être intégrée à la liturgie, ces « missa pro defunctis » comme on les appelle aussi sont devenues des compositions musicales à part entière.

Qu’elles soient dépouillées comme chez Victoria ou plus fouillées comme chez Verdi, ces messes pour les défunts ont émaillé le paysage musical de la Renaissance jusqu’à aujourd’hui. En France, on pense souvent à celles de Campra, Berlioz, Fauré ou Duruflé, mais rarement à celle de Gilles. Contemporain de Campra, ce dernier était pourtant célèbre de son temps… et dans les années qui suivirent son décès. En effet, son requiem, à l’origine une commande de deux fils pour leur père défunt, ne fut joué qu’après sa mort, notamment, excusez du peu, lors des obsèques de Rameau et de Louis XV. Il se dit que sa messe des morts serait la première à adopter la forme concertante (à savoir que les choristes alternent désormais avec des solistes). C’est quand je me suis passionné pour la musique baroque que je suis tombé sur ce compositeur.

Live report Choeur Variatio band 1

Avec le concert proposé à Combs-la-Ville le 2 février 2024, j’ai l’occasion de voir sur scène ce que je n’ai pu jusque-là qu’entendre avec ma version CD dirigée par le grand Philippe Herreweghe. Qui dit Combs-la-Ville dit parents de Lucas. C’est donc avec eux, et une voisine que nous connaissons depuis 35 ans, que je me rends à la Coupole, ce bâtiment tout noir qui semble tout désigné pour recevoir un événement à la gloire des morts. La salle est déjà pleine quand nous arrivons, il nous faut nous séparer en deux groupes. Une fois que le rideau s’ouvre, c’est l’ébahissement en voyant la quarantaine de choristes, avec devant eux une dizaine de concertistes et quatre solistes. Ça en fait du monde ! Et quand le chef d’orchestre, Jean-Marie Puissant, qui a chanté sous la direction de… Philippe Herreweghe (eh oui, encore lui), nous annonce qu’ils se produisent également dans des églises, on se demande où ils arrivent tous à tenir… Au programme, le requiem de Gilles donc, mais aussi un motet de Mondonville, autre compositeur dont on n’entend pas souvent le nom. Pendant la soirée, Le Tout Puissant (clin d’oeil à qui vous savez) va diriger non seulement le chœur, mais également les concertistes de l’Ensemble Les Muses Galantes. On retrouve dans ce dernier des instruments d’époque, dont des hautbois baroques, des flûtes tout aussi baroques, et des instruments à cordes (mais des cordes en boyau – « attention, ça ne rigole pas ! »). La rythmique sera assurée d’un côté par l’ancêtre du piano, à savoir le clavecin et de l’autre côté, par le basson (« on dirait un klaxon de bateau »). Oui, sur ce dernier, vous savez, c’est cet instrument qui a été popularisé dans la musique rock par Lindsay Cooper, principalement au sein des Henry Cow. Trève d’égarement, il nous faut encore évoquer le violoncelle et la contrebasse (avec des cordes en boyau : « non, ça ne rigole décidément pas ! »). Je suis certain d’avoir déjà vu la violoncelliste dans un autre concert… En effet, avec sa taille impressionnante et un sourire qui ne quitte jamais ses lèvres, il est impossible de l’oublier. Quant au contrebassiste, avec sa tignasse grise, on dirait un Buzz Osborne (Melvins) qui aurait cédé au matraquage publicitaire de Comme J’aime. Mais sur ces notes d’humour, revenons à notre soirée.

Le chœur Variatio est mixte, avec une disposition surprenante : les hommes au milieu et les femmes sur les côtés. De là où je suis, j’ai l’impression que celles situées sur la gauche ont un gosier plus performant que celles de droite (attention, pas d’interprétation politique dans mes propos). C’est peut-être dû à mon emplacement, ou encore à la différence de tessiture, allez savoir. Toujours est-il que c’est l’émerveillement quand cette marée de voix s’abat sur la salle tel un ressac. En parlant de vagues, ce sont également elles que l’on aura en tête à la vue de cette synchronisation d’archets dans leurs mouvements tantôt soutenus, tantôt intenses. Une belle harmonie, et un bel esprit d’équipe chez nos vedettes de la soirée. Le clavecin pare l’ensemble de belles couleurs rythmiques (ce n’est pas pour rien que l’on parle de « basse continue » à son sujet). On appréciera également les souffles graves du basson (et même si la regrettée Lindsay Cooper lui a donné ses lettres de noblesse dans les musiques plus récentes, cet instrument reste bien trop ignoré dans le monde contemporain). Les hautbois et les flûtes de leur côté nous feront respirer le grand air des campagnes. Pas facile de mettre en harmonie la quarantaine de choristes et la dizaine de concertistes : le maître Tout Puissant y parvient haut la main ! Et les solistes dans tout ça ? Oui, ne les oublions pas. On les voit intervenir en solo (soprano, alto, ténor, baryton) ou de concert (quel délice quand ces voix s’enchevêtrent : on se rappelle que dans le rock, Gentle Giant en avaient pris de la graine et remis au goût du jour ces voix décalées…). « Mais là tu nous parles d’alto alors qu’on ne voit qu’une seule femme parmi les solistes ». Eh oui, le rôle est assuré par un homme : non pas qu’il ait été castré (vous imaginez, le pauvre !), mais il use d’une voix de haute-contre pour se rapprocher de la tessiture attendue. La soprano et le ténor nous surprennent par leur agilité, tandis que le baryton reste… grave ! (n’oublions pas après tout qu’il s’agit d’une messe funéraire). Il faut aussi noter que la prononciation peut surprendre : on entend des « u » à la place des « ou » dans des mots comme « requiem » ou « Jesu ». En fait, nos solistes ne font que respecter la prononciation de l’époque. Eh oui, les boyaux, la prononciation des mots en latin, on se croirait vraiment à l’époque de Gilles ! Avec toutes ces voix et ces instruments, l’homme à la baguette ne manque pas de nous faire remarquer que ce n’est pas quelque chose d’habituel, c’est, comment dire… baroque ! (baroque dans le sens de « bizarre »). En parlant de bizarrerie, quand est venu le tour du motet de Mondonville, un moment m’a réellement impressionné : les voix du chœur se sont employées à simuler un écho tandis que les archets se sont mis à frotter les cordes des violons avec frénésie, dans un tel mouvement qu’on pourrait penser aux metalleux néo-classiques d’aujourd’hui. C’était ça aussi la période baroque en musique : outre les ornements et la sophistication, on retrouvait une soif d’aller vers des territoires inexplorés et avant-gardistes.

Live report Choeur Variatio band2

Le chef de chœur et d’orchestre nous invite pendant la soirée à revenir écouter ce concert à Reims. Sur le ton de la plaisanterie, je suggère à la voisine placée à ma gauche qu’il devrait proposer de nous servir le champagne pour mieux défendre son bifteck. Et c’est sur quelques notes d’humour que je repars, content d’avoir pu voir ce que jusque-là, je n’avais pu qu’entendre.

https://www.facebook.com/ChoeurVariatio

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.