Leprous – Aphelion
Inside Out Music
2021
Rudzik
Leprous – Aphelion
Covid et oisiveté oblige, Leprous est déjà de retour avec un nouvel album, moins de deux ans après l’ultra dépressif Pitfalls qui avait repoussé les limites de la déprime bien au-delà du savoir-faire en la matière du défunt Anathema. Alors, tout cela expédié par derrière soit, Einar Solberg et sa bande nous ont concocté un album pop-rock d’une légèreté extrême blindé de millenial whoops… nannnnnnn, jdéconne bien sûr !
Si le péché mignon de Leprous, ces oh, oh oh pops, est de plus en plus récurrent (« Nightime Disguise »), Aphelion, son nouvel effort, de nouveau très personnel, se situe dans la droite lignée de Pitfalls puisqu’il traite de l’anxiété et de la santé mentale, mais plutôt après la fin de la domination de la dépression sur des vies. Et elles sont innombrables celles qui ont été frappées de plein fouet par la pandémie. D’ailleurs il devait initialement s’appeler Adapt, une bonne métaphore puisque la population mondiale a dû s’adapter à celle-ci, mais le groupe a opté pour une approche différente à savoir, Aphelion, le point orbital sur lequel, la terre est la plus éloignée du soleil. Nos Norvégiens ont imaginé cette allégorie pour les grands défis qui nous sont lancés dans la vie et la force et la croyance qu’il faut souvent pour ne pas décrocher de notre orbite personnelle. Leur philosophie a été de « faire avec ce qu’on a », en clair, en s’adaptant à toutes ces nouvelles contraintes. Dans les faits, après l’annulation de la tournée Pitfalls, Leprous est reparti en studio inopinément et a été baladé par les évènements entre trois studios différents pour enregistrer la dizaine de titres qui composent Aphelion tout en s’essayant aux concerts en streaming (ils en ont même assuré huit au total). Aphelion apparaît moins cohérent que le précédent opus, mais il est vrai que ce dernier était pratiquement un concept album. Pourtant, il n’est pas en rupture complète avec celui-ci. Les chansons ont été élaborées dans des conditions très différentes, à distance ou en groupe, en les ayant préécrites ou carrément lors de bœufs improvisés, sans pour autant perdre de vue le thème choisi. Certaines d’entre elles ont même été soumises à l’avis de leurs fans les plus proches avant d’être finalisées, étonnant non ?
Ceci dit, Leprous s’est, depuis plusieurs albums, forgé son propre style immédiatement reconnaissable et c’est le sentiment qui m’empreint dès les premières mesures du magistral « Running Low » et dès les premiers accents de l’inimitable voix d’Einar Solberg sur ce titre qui provoque des frissonnements dans l’épine dorsale. Si « Out Of Here » est de la même veine, le compact et punchy « Silhouette » donne dans une certaine facilité, abusant des oh oh oh sur la fin (oui, je sais, ça m’horripile quand c’est surabondant à ce point). Heureusement, « All The Moments » remet les pendules à l’heure avec sa remarquable intro en slide de guitare puis pulsative à la façon d’un Marillion et des envolées vocales extraordinaires sur fond de cordes assurées par les invités Raphael Weinroth-Browne et Chris Baum. D’un point de vue musical, Simen Børven à la basse tire son épingle du jeu comme lorsqu’il la rend ondoyante le temps du lounge bluesy «Have You Ever ? » et du plus positif « Castaway Angels ». Le mini batteur par la taille, mais immense par son talent, Baard Kolstad, met encore le feu à ses fûts sur le final d’« All The Moments ». Une large place est laissée aux claviers et aux sonorités électroniques et, si les guitares de Tor Oddmund Suhrke et Robin Ognedal n’ont jamais été d’une technicité extrême dans la musique de Leprous, excepté en matière de riffs, il m’apparaît qu’elles sont encore moins présentes, en tout cas moins lourdes, sur un Aphelion qui regorge encore plus de sonorités électro. Comme pour me faire mentir, « Nighttime Disguise », le titre épique qui clôt l’album (Leprous serait-il de plus en plus tenté par le prog après avoir pondu l’interminable « The Sky Is Red » sur Pitfalls?) superpose des riffs de guitare affolés et non saturés à des coups de massue conjoints guitare et basse qui éclateraient la tronche d’un berserker nordique. On a même droit à un très énergique solo de gratte en fin de titre, une réelle surprise. Quant à la voix d’Einar Solberg, elle est toujours aussi extraordinaire avec ses accents tellement émouvants qu’ils vous déchireraient la mâchoire de béatitude quand elle ne sonne pas le retour tardif des growls en fin de titre. Avec toutes ces armes, Leprous a cette particularité de posséder une fan base très large allant du métalleux endurci à l’indécrottable progueux. Nul doute que bientôt le monde de la pop lui ouvrira sa porte. Bon, en fait je n’y crois pas trop, car bien que les oh oh oh pullulent, le scope général de la musique du groupe demeure trop obscur pour la masse même si parfois, un titre comme « Below » de Pitfalls, « From The Flame » de Malina ou « Running Low » ici présentement ont eu et ont les qualités pour percer sur les radios FM.
À l’écoute d’Aphelion, les sentiments de « déjà entendus » sont légion, mais il faut reconnaître que la sauce préparée avec beaucoup de talent par Leprous continue à prendre sans fausses notes. On notera que la première partie de l’album est plus sombre et triste que la seconde partie notamment à partir de « The Shadow Side » avec son intro plutôt enjouée suivi du majestueux et sensible « On Hold » et du très progressif « Castaway Angels » au final épatant musicalement parlant. C’est une bonne recette contre l’ennui et qui marche à merveille. Toutefois, Aphelion me semble un poil en deçà de son prédécesseur sans qu’il puisse lui être reproché d’être fade, répétitif ou inconsistant. Peut-être est-ce dû à une cohérence moindre ? Quoiqu’il en soit, Leprous compte bien le défendre sur scène à partir de la fin d’année avec, pourquoi pas, de nombreux détours par Pitfalls qui n’avait pu être joué en live pour les raisons que l’on sait. En tout cas, Aphelion possède tous les atouts pour ça surtout que ça sera la tournée du 20ème anniversaire du groupe… Eh oui, déjà ! Comme le temps passe vite !