Leo Sidran – What’s Trending
Bonsaï Music
2023
Thierry Folcher
Leo Sidran – What’s Trending
Dans un premier temps, j’aimerais m’adresser aux orphelins de Michael Franks, à tous ceux qui ne se sont jamais remis de titres comme « Tiger In The Rain », « Lady Wants To Know » ou « Antonio’s Song » et plus largement d’albums aussi beaux qu’inégalés à ce jour. Surtout ceux de la période 73/83. Je m’empresse aussi de rameuter tout le monde, sans exception, pour leur offrir ce petit bijou de sensualité qui nous arrive avec What’s Trending, le huitième album solo de Leo Sidran. Et c’est vrai que l’univers de Leo est comparable à celui de Michael Franks, empreint de ce même smooth jazz irrésistible, véritable compagnon des moments rares où l’âme s’ouvre avec compassion. Pour vous en convaincre, je vous invite à découvrir Cool School [The Music Of Michael Franks], son album hommage de 2018 pour comprendre que cette filiation avec le chanteur californien est même revendiquée. Donc, on peut dire sans crainte qu’avec Leo Sidran, il y a du Franks tout neuf, mais pas que, loin de là. Leo est né il y a 46 ans à Madison dans le Wisconsin au sein d’une famille où la musique l’a englouti dès son tout jeune âge. Il est le fils de Ben Sidran, célèbre jazzman à la carrière solo bien remplie et connu comme musicien de session pour une ribambelle d’artistes de renom. Dans ces conditions, le petit Leo ne pouvait échapper à sa destinée d’auteur compositeur précoce et de multi-instrumentiste accompli. What’s Trending est un album intime, lié de près à la famille, et construit comme une introspection vers tout ce qui peut réunir les générations. Souvent, ce genre d’exploration aboutit au constat que, quels que soient l’âge ou l’époque, nous vivons à peu près les mêmes expériences. Leo nous fait partager cette aventure sous la forme de treize chansons magnifiques, presque chuchotées et mettant l’auditeur dans une situation de confident respectueux.
Tout cela est résumé avec « What’s Trending » (quelle est la tendance), la chanson titre qui ouvre l’album de fort belle manière. Ce morceau, à la production hyper léchée, a été inspiré par la fille de Leo, âgée de onze ans seulement mais véritable indicatrice des tendances à venir. La rythmique en faux claquement de doigts donne le tempo et préfigure la couleur cool jazz qui va alimenter tout l’album. Ceux qui découvrent la musique de Leo Sidran seront, à coup sûr, séduits par cet enregistrement d’une clarté irréprochable et véritable bonheur pour toutes les installations Haute Fidélité. On l’aura compris, la symbolique est importante chez Leo et la chanson « There Was A Fire » est peut-être le pilier sur lequel il s’appuie, non seulement sur ce disque mais aussi sur l’existence toute entière. Le thème est clair, il parle de mémoire et de transmission pour aider les gens à faire face aux aléas de la vie et avancer sans crainte. Sur ce titre, la mélodie est imparable et s’installera durablement dans votre tête. Et puis, la famille Sidran multi-générationnelle est toujours là non seulement pour participer aux vocaux, mais aussi pour incarner la tradition et la passation du savoir. Si j’ai mis en avant ces deux titres, c’est pour bien montrer que malgré un enrobage musical plein d’élégance, les propos peuvent être profonds et réfléchis. Cela dit, ce n’est pas non plus une prise de tête et l’album peut (doit ?) s’écouter pour ce qu’il est réellement, c’est-à-dire un pur moment de plaisir gorgé de groove et de sensualité. Et c’est vrai que la musique occupe une place prépondérante avec des interventions de grande qualité comme la clarinette de Mark Dover sur « There Was A Fire », les vocaux de Lauren Henderson et l’harmonica de Jake Sherman sur « Nobody Kisses Anymore » ou même la participation émouvante de Sol Sidran sur « What’s Trending ». Du beau monde qui s’accorde à offrir de belles ondes de diversité tout en laissant Leo occuper le devant de la scène avec sa voix d’une fluidité et d’une chaleur incomparable.
Et c’est vrai qu’il chante bien le bougre, à la manière de Michael Franks, on est d’accord, mais aussi un peu comme Gordon Haskell, le regretté crooner de l’immense Harry’s Bar (2002), cet autre album indispensable. Mais arrêtons les comparaisons et revenons au contenu de What’s Trending qui ne manque pas d’atouts, surtout au niveau des atmosphères, très variées et bien à leur place au sein d’un album qui respire l’amour et le partage. Il y a du soft jazz à tous les étages mais aussi du funk (« When The Mask Comes Off »), de la romance bien juteuse (« Keep It Wild ») et du chant choral porteur d’espoir (« It’s Alright »). Et puis, Leo pose les bonnes questions, celles inévitables liées à l’actualité, mais toujours en douceur même quand il s’agit de dénoncer certains mensonges (« Everybody’s Faking ») ou certains comportements douteux (« Crazy People »). Et tout ça sur des airs de bossa ou de gospel prouvant que les slogans les plus sérieux peuvent se draper sans peine de sensualité. Je vous le disais, les ambiances sont changeantes et le patchwork musical s’ornera aussi bien d’humilité touchante (« Hanging By A Thread ») que de nostalgie cocasse (« 1982 »). Enfin, « After Sommer’s Gone » puis « Sleepwalking » achèveront en beauté cet album en tout point réussi, peut-être un des meilleurs de Leo Sidran.
Pour finir, j’aimerais apporter une petite précision. Plutôt que de chercher une alternative à Michael Franks, comme je le laissai entendre en début de chronique, je pense qu’on peut (qu’il faut !) s’offrir les deux personnages sans crainte. L’un comme l’autre possèdent assez de particularités pour trouver une place de choix dans nos mondes secrets et réconfortants. Alors n’hésitez plus, servez vous un Lagavulin et écoutez What’s Trending ! Il y a des chances pour que ce mélange des dieux vous enivre et vous déconnecte d’une réalité à oublier, momentanément en tous cas. Il en va de notre survie, de trouver ce genre d’îlot de bien-être où il fait bon se réfugier et dans lequel le partage devient une philosophie. Faire connaître la musique de Leo Sidran sera toujours reconnu comme un acte charitable et pourquoi pas, salvateur. Moi, je viens de le faire, maintenant c’est à vous de jouer et de propager le bonheur autour de vous.