Interview Lazuli : ou l’art du rock hybride et évolutif à la française !

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Vendredi 30 mai 2014 : la quinzième édition du festival international Prog Sud connait un très grand moment avec le set tardif de Lazuli. Fort d’un nouvel album taillé pour la scène, le groupe donne à sa prestation une densité tout bonnement exceptionnelle pour le plus grand bonheur des quelque 300 fans présents. Nos cévenols préférés nous laissent en effet sur les fesses en interprétant leurs plus grands succès d’hier et d’aujourd’hui, avec la scène pour unique professeur et un message musical d’une densité ahurissante. L’occasion était donc idéale pour passer Dominique Leonetti, le leader, chanteur et guitariste du combo, au feu nourri de nos questions. Extraits choisis.

C&O : L’accueil de votre nouvel album semble avoir été excellent en termes de ventes (1500 exemplaires écoulés, il me semble, dès sa sortie) : comment l’avez-vous ressenti à ce stade?

DL : Comme un cadeau! Pour un groupe comme le nôtre, démuni des « armes » des grosses productions, vendre « autant » de disques dès les premiers jours est vraiment gratifiant, d’autant plus que les commandes continuent depuis. Nous ressentons cela comme une preuve d’amour et de confiance. Par les temps qui courent les ventes de CD’s sont en perte de vitesse pour tout le monde et avoir la chance de continuer à partager « l’objet » est important à nos yeux. Bien sur tout est relatif, ce chiffre peut faire rire certains mais à l’heure du téléchargement pirate et gratuit, de l’armada déployée par les grosses productions et de l’omniprésence de certains artistes élus, le résultat est plutôt pas mal pour les « artisans » que nous sommes. Chacun de nos disques s’est vendu jusqu’à 5000 exemplaires. C’est loin d’être suffisant pour en vivre mais suffisant pour rendre cohérents la réalisation et la sortie de l’opus d’après. Nous espérons rééditer notre avancée avec celui-ci et peut-être aller plus loin, pourquoi pas, avec l’aide de ceux qui nous aiment et qui font que notre musique s’étend un peu plus chaque jour.

C&O : L’idée de la participation de Fish sur un titre de votre album : clin d’œil, hommage, filiation, ou…?

DL : Filiation avec certitude. Fish est un personnage incontournable pour qui cherchait de la bonne musique dans les années 80 ! Il m’a nourri comme l’ont fait les Beatles et autres Peter Gabriel… J’ai toujours écouté Fish mais jamais je n’aurais eu l’audace ni la présomption de penser lui demander une participation à un de nos albums ! C’est un concours de circonstances qui nous a menés à cette histoire. Tout a commencé en 2007 quand nous avons ouvert les dates de sa tournée française. Nous avons tissé des liens à cette époque. Nous nous sommes ensuite régulièrement croisés sur la route, avons trinqué nos verres à chaque fois et, autour de ces derniers, nous avons tenté de nous comprendre malgré notre anglais pourri et son terrible accent écossais ! Heureusement qu’il y a ce langage universel qu’est la musique! Paradoxe et preuve de sa « grandeur », il ne nous a jamais regardés de haut et nous a considérés comme des égaux, chose incroyable pour nous qui sommes admiratifs du géant qu’il est. Sa générosité et sa gentillesse envers nous nous ont poussés au mois de novembre à oser la proposition. Il a accepté en moins d’une seconde, à tel point que j’ai cru que je n’étais pas arrivé à me faire comprendre ! Nous ne considérons pas sa présence sur notre album comme un hommage, cela voudrait dire que Fish appartient au passé, ce qui n’est absolument pas le cas, son magnifique dernier disque en est la preuve. Sa présence sur une chanson était une envie, un rêve… nous sommes très fiers de l’avoir à nos cotés.

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Bertrand Pourcheron (à droite) prend la pose avec Claude Leonetti, créateur de la « Léode »

C&O : « Déraille » est un titre dont le texte est presque « apocalyptique »: sans y voir un rapport avec le film « Snowpiercer », est-ce l’expression d’un pessimisme face à la montée des extrémismes en France ?

DL : C’est marrant que vous me parliez de « Snowpiercer » car je viens de voir ce film il y a à peine quelques jours !!! Le texte de « Déraille » exprime mon désarroi face à la nature humaine, d’une façon assez générale, sur l’idée de notre embarquée vouée à la catastrophe. Il y a une certaine détresse dans cette chanson, c’est vrai, mais je chante aussi ces mots comme on tirerait une sonnette d’alarme. Je crois qu’on peut-être à la fois pessimiste, parce que désemparé par l’absurdité ambiante, mais aimer la vie coûte que coûte, et refuser de baisser les bras. Même ceux qui se disent optimistes ne sont pas dupes car au bout de la vie, il y a la mort. Qu’on se dise « De toute façon tout est couru d’avance » ou bien « Nous nous en sortirons quoiqu’il arrive », les deux visions peuvent malheureusement être un prétexte à l’inaction. Pessimiste ou optimiste; l’essentiel est donc ce que nous faisons en attendant. Mais parlons de la montée des intégrismes en France : même si je suis à la fois consterné, triste et en colère de voir ce qui arrive, je me refuse à en faire une fatalité. Je veux croire que tout le monde ne se laissera pas envahir par ces sentiments de haine. Malgré cela, la peur de voir l’avenir ressembler à notre passé me hante terriblement (j’ai d’ailleurs abordé le sujet dans le précédent album avec « Je Te Laisse Ce Monde »). Comme si notre histoire était une boucle sans fin. Tiens ça me rappelle un autre film 😉 mais dans celui-ci Dave Murray apprend du passé et de ces erreurs, et améliore son présent. Ca ne semble pas être une évidence dans l’histoire de notre monde! Méfions nous de ceux qui font des généralités, des amalgames, qui manipulent les informations, les chiffres et alimentent les peurs. Et puisque l’épidémie gagne du terrain, faisons en sorte de lui en laisser le moins possible. Propageons les anticorps qu’il peut y avoir dans certaines chansons, certains films, certains livres… (à ce sujet je ne saurai que trop vous conseiller de lire « La peau d’un autre » de Philippe Arnaud, un peu de pub pour un ami talentueux ;-). Tout ce qui peut aider à la compréhension, au dialogue, à l’acceptation de l’autre, même à petite échelle, fait reculer la connerie. N’oublions pas que nous sommes aussi « l’autre ». Comme pour l’écologie, je crois beaucoup aux gestes journaliers, aux gouttes qui, assemblées, font des océans.

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C&O : On sent sur cet album l’envie d’une musique plus directe (plus pensée pour la scène?): volontaire ou pas?

Plusieurs raisons à cela : Le fait d’avoir fait plus de concerts ces dernières années nous pousse sans doute à penser à la finalité dès les premiers arrangements. Notre but étant de faire vivre ces chansons en live. Puis, Ged avait plus que quiconque cette envie d’un album plus « rock » et il a su me communiquer son énergie dès les prémisses de l’écriture. Egalement la présence de Vincent et Romain (5 ans déjà) a rendu notre travail plus spontané. « 4603 battements » en était déjà les prémices, nous avons favorisé l’allant et les prises de son d’une traite. Et enfin, je dois dire aussi que le monde actuel nous amène à ce besoin de dire et de faire les choses plus directement, sans détours. Comme si le temps nous était compté. Mais tout ceci n’est pas vraiment calculé, c’est plus un constat, une analyse après coup. Je me refuse à me poser trop de questions sur ce que sera un album avant sa réalisation. L’idée étant d’être honnête et transparent et pas de répondre à telle ou telle attente.

C&O : Vos sets sont impressionnants d’énergie et d’enthousiasme, comme lors du 15ème anniversaire du Prog Sud ? Quel est votre secret de jouvence ?

DL : Simplement la conscience forte de la chance que nous avons d’être sur scène et de partager notre musique. Nous sommes tous les cinq heureux d’être ensemble et de vivre cette aventure. Toujours un projet à l’horizon, toujours le cerveau en ébullition, des rencontres, des remises en questions, des rêves, des envies, tout autant de choses qui maintiennent notre enthousiasme. Il est malgré tout mis à rude épreuve tous les jours, mais chaque concert recharge nos batteries. Je pense à mon frère Claude qui est une parfaite illustration à lui seul de tout ça, lui pour qui il est difficile d’affronter physiquement chaque jour, lui qui a faillit tout perdre à 17 ans, s’est relevé conscient de chaque bonheur qui se présente. Vivre le présent est peut-être un secret de jouvence… Bien qu’il n’y ait aucun impact sur la dépigmentation des cheveux 😉

C&O : L’exercice 2013/2014 a été très contrastée avec d’excellentes sorties (le DVD + le CD) et de grosses déceptions (concerts au Canada et en Allemagne annulés). Qu’est ce qui l’emporte : le positif ou le négatif ?

DL : Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort! Nous n’avons pas tout le temps rencontré les bonnes personnes; certaines sont malveillantes, ce fut le cas avec le « tourneur » canadien, et d’autres ne respectent pas leurs promesses, ce fut le cas du tourneur allemand. La vie d’un groupe est truffée de crocs en jambe, de désillusions, de fausses joies, il faut savoir les laisser glisser sur soi et en tirer des leçons, sans pour autant perdre la candeur nécessaire à l’histoire suivante. Les albums, les concerts, les belles rencontres, les messages d’affection sur nos sites, la présence et l’amour de nos familles, de nos amis, bref le positif l’a toujours emporté jusqu’à maintenant puisque nous sommes toujours là. 2013 et 2014 furent intenses à tous les niveaux. C’est là la force d’un groupe, quand j’ai un coup de barre, Ged redouble d’enthousiasme, quand c’est lui qui a un coup de mou, Clo prend le relai, un coup Vince, un coup Romain, ainsi de suite, dans l’ordre et le désordre…

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C&O : Vous avez une tournée en Angleterre à l’automne et déjà 150 places ont été vendues pour le concert londonien. Grosse satisfaction ?

DL : Un petit groupe français au pays des Beatles, c’est en soi une grosse satisfaction !!! De plus nous chantons en français et, contre toute attente, cela ne leur pose pas de soucis ! Nous y sommes déjà allés deux fois, en 2011 et 2013 et l’accueil y fut incroyablement chaleureux mais nous n’aurions pas imaginé que 6 mois avant notre tournée de novembre 2014, nous aurions pu avoir tant de réservations à Londres et dans les autres villes également (encore une fois tout est relatif). Les concerts s’annoncent vraiment bien, nous trépignons ! J’en profite pour rendre hommage à Nellie Pitts de The Merch Desk qui organise la tournée et qui a fait un travail remarquable et à Alison Anderson (journaliste, chroniqueuse) car toutes deux œuvrent de toute leur force pour communiquer leur enthousiasme Lazulien au Royaume-Uni. Nous essaierons de vous ramener une photo de Lazuli sur « le passage clouté ». Ce n’est pas original mais c’est jubilatoire 😉

C&O : Pourquoi avez-vous quitté Musea après « En Avant Doute » pour opter pour l’autoproduction ? Avantages et inconvénients ?

C&O : L’aventure chez Musea nous a beaucoup apporté et nous les en remercions sincèrement. Nous étions arrivés au terme de notre contrat et la question du renouvellement s’est posée. L’histoire était en train de se scléroser et nous avions besoin de plus de soutien. Musea ne pouvait ou ne voulait pas nous l’offrir. Aujourd’hui la plupart des labels ne peuvent plus faire de promo faute de moyens et se contentent de vendre les albums, qu’un groupe comme le nôtre vend d’ailleurs en majorité lors des concerts. Peu d’intérêt de laisser l’exclusivité sous contrat de licence s’il n’y a pas de promo et plus d’enthousiasme. En reprenant notre indépendance nous avons récolté véritablement le fruit des ventes de disques et comme je le disais plus haut, cet argent est nécessaire à la construction de l’album suivant. Difficile de savoir ce qui est le mieux pour un groupe aujourd’hui; signer ou pas, que doit-on déléguer ou pas, que doit-on attendre d’un label ??? Tout un tas de questions auxquelles je n’ai pas de réponses figées. Dans notre cas actuellement, nous gérons pratiquement tout, faute de trouver les partenaires vraiment solides, sincèrement motivés et en adéquation avec notre éthique. D’ailleurs, si ces labels là existent, faut-il encore que Lazuli les intéresse!!! Mais pour en revenir à Musea, nous travaillons toujours avec eux sous une autre forme (en distribution non exclusive) comme avec une dizaine d’autres distributeurs dans le monde.

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C&O ; Comment décrirais-tu l’identité musicale de Lazuli en quelques lignes ?

DL : Je dirai que la musique de Lazuli prend racine dans la noirceur terrestre et cherche à s’arracher du sol. Une sorte d’insecte nocturne résolument attiré par la lumière. J’élude un peu la question ! Je n’ose plus m’aventurer dans des déterminations de style de musique car je m’aperçois que chacun voit dans notre univers des choses différentes. J’accepte avec fierté le terme de rock progressif mais certains critiques de magazine ont plus de mal avec ça! Notre progressif a des couleurs world, électro, chanson, ce qui créait des polémiques quant à savoir si nous sommes un groupe prog, pop, rock ou je ne sais quoi encore… Je pense que nous nous sommes détachés de nos influences depuis très longtemps, nous essayons simplement de retranscrire ce qu’il y a dans notre for intérieur, sans nous soucier des codes quels qu’ils soient. Ceux qui aiment notre musique ne se posent d’ailleurs pas la question de l’étiquette. Nous avons une identité, une signature musicale, à ce qu’ils nous disent, atypique et reconnaissable, il est difficile pour nous de le formuler.

C&O : Vous êtes plus un groupe de potes (vos clins d’œil sur scène) qu’un combo qui se prend au sérieux. Est-ce là la clef de votre réussite ?

DL : Indispensable d’être une bande de potes, car la vie de groupe ne se résume pas à 2 heures de concert. Nous pouvons faire 25 heures de camion dans le week-end, par exemple 6000 kms dans ce seul mois d’avril, partager nos chambres d’hôtel, nos repas, les heures de studio etc… (et comme si cela ne suffisait pas, nous nous voyons à la moindre occasion quand il n’y a pas de musique à faire!). Nous nous aimons profondément (du moins c’est ce que je ressens), nous nous acceptons avec nos qualités et nos défauts, nous nous admirons mutuellement pour nos capacités différentes et nous nous enrichissons de ces différences. Nous avons aussi de nombreuses visions communes, nécessaires à la marche en avant. Mais comme dans un couple, tout est fragile, il faut savoir préserver certaines choses, j’espère que nous y arriverons le plus longtemps possible. Est-ce le secret de notre réussite, je ne sais pas. Mais la chose certaine est que nous aimons être ensemble. Un paradoxe de plus; la scène est toute notre vie mais nous savons aussi qu’il y a des choses bien plus importantes que nos petites existences et notre petit groupe, alors pourquoi se prendre la tête ? Nous faisons Lazuli avec du sérieux mais sans se prendre au sérieux. Claude, Ged, Romain, Vincent, Ghis et Ali (nos techniciens) et moi essayons simplement de profiter de ces instants de grâce que nous procure la musique.

Propos recueillis par Philippe Arnaud & Bertrand Pourcheron, le 2 juin 2014
Remerciements à Denis Vecchie pour les photos

Lazuli Band

http://www.lazuli-music.com/

Un commentaire

  • Floury

    Intéressé par des groupes locaux comme Limousine blues (blues, pop rock), Lazuli (rock progressif), Chichoumelle et Castagne et Vinovel (folk, trad), on souhaiterait des infos hebdomadaires pour dates de concerts, et élargir notre cercle de connaissances des mêmes genres musicaux cités. Merci

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