Lambert – Drachenreise
Lambert
Spheric Music
En découvrant la pochette de ce « Drachenreise » (un peu kitsch et cliché, avouons-le), on a immédiatement l’impression d’avoir affaire au nouvel opus d’un obscur groupe de rock progressif affublé d’une indécrottable imagerie à la J.R.R Tolkien, voire de speed-metal pompier et symphonique façon Rhapsody. Que nenni ! Passé ce visuel pour le moins inattendu (quand on sait par avance ce qui se cache derrière), on découvre une musique électronique dont la principale source d’inspiration est à puiser du côté du Tangerine Dream des années 80, et plus particulièrement celui des périodes « Blue » et « Melrose » (les connaisseurs verront de suite de quoi je parle). Soit, en gros, du segment de leur longue épopée créative en dents de scie s’étalant de 1984 à 1990, quand le groupe mythique allemand accueillait en son line-up à géométrie variable l’autrichien Paul Haslinger, en remplacement de Johannes Schmoelling parti s’essayer à une carrière solo.
L’auteur de cet album à l’artwork un peu trompeur n’est autre que Lambert Ringlage, musicien passionné à la fois synthétiste et guitariste (qui a dit Edgar Froese ?), par ailleurs fondateur du label Spheric music, une structure indépendante entièrement dédiée à l’édition et à la promotion des musiques électroniques « old school ». C’est à travers son fameux projet en duo Hypnosphere que j’ai découvert cet artiste phare d’une scène devenue aujourd’hui plus que confidentielle, et son indéniable savoir-faire en matière de création d’univers sonores cosmiques et immersifs. En effet, à l’instar d’un Ian Boddy ou d’un Olivier Briand pour la France, Hypnosphere rend à travers les grandes lignes de son oeuvre un bien bel hommage à l’âge d’or de la musique électronique allemande, cette fameuse « école de Berlin » née à l’aube des années 70 sous l’impulsion des pionniers.
Mais contrairement aux albums d’Hypnosphere, point de plages fleuves et de long développements instrumentaux dans ce nouvel essai en solitaire (Lambert a enregistré seul pas moins d’une dizaine de disques). Ici, c’est clairement la mélodie qui est privilégiée par rapport à l’ambiance (avec plus ou moins de succès en terme d’esthétique et d’inspiration), et aucun titre n’excède les 8 minutes au compteur. Aussi, l’album est assez hétérogène en terme de sonorités, joyeux mélange un peu foutraque d’analogique (les jolies séquences basses de « Stairs »), de numérique (l’accordéon synthétique un poil cheap de « Lonely », morceau qui nous rappelle le meilleur Software de M.Weisser/P.Mergener et les années IC Music) et d’acoustique (les tablas et le gatam échantillonnés du très plaisant et original « Call »).
« Estranho » et « Motion » semblent quant à eux tout droit sortis d’un album de TD produit durant la période où le groupe avait signé chez Private Music (« Optical Race », « Lily On The Beach », « Melrose »), label américain créé par un certain… Peter Baumann ! D’autres compositions encore sont un peu la synthèse sonore de ces deux périodes, comme par exemple « Hill », qui mixe allègrement séquenceur à l’ancienne, nappes digitales et solos de claviers typiques des années 80, sans oublier la boîte à rythmes emblématique de cette même époque. On pourra déplorer la présence d’un ou deux morceaux un peu trop « new-age » à mon goût (le minimaliste et sirupeux « Doucement »), mais en même temps saluer l’inspiration Vangelis (période « Opéra Sauvage ») avec le joli thème de « Source » et son ambiance maritime à la fois contemplative et mélancolique.
A signaler également la présence d’un invité de marque en la personne de Gandalf (non, pas le magicien, l’autrichien !), qui délivre de superbes parties de guitare électriques tout au long de « Corona », le flamboyant morceau qui ouvre le bal, et dont les séquences et l’arpégiateur renvoient au mythique live « Poland » de TD (ce qui n’est pas le moindre des compliments !). Enfin, notre voyage en 12 plages s’achève sur l’enjoué « Drachenreise », morceau éponyme qui lorgne quant à lui du côté du « Chronologie » de notre Jean-Michel Jarre national (et de la « Part 4 » en particulier), un album qui assumait pleinement son retour à un son plus spécifiquement analogique, hérité de la période « Oxygène »/ »Equinoxe ».
Si ce fort sympathique « Drachenreise » n’atteint jamais vraiment la magie des grands trips intergalactiques d’Hypnosphere, il nous offre cependant une musique sincère et bien fichue qui se moque ouvertement des modes et des tendances, et qui célèbre une période de la ME elle aussi non dénuée d’un certain charme. Et pour que celui-ci opère, il suffit juste de ne pas comparer les deux projets de l’ami Lambert, un homme qui semble décidément avoir plus d’une corde à son arc !
Philippe Vallin (7,5/10)
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