Khruangbin – A La Sala

A La Sala
Khruangbin
Dead Ocean
2024
Thierry Folcher

Khruangbin – A La Sala

Khruangbin A La Sala

Le danger pour Khruangbin. c’était bien évidemment de finir par se mordre la queue. Et notre trio texan en était bien conscient. Ses récentes collaborations avec des artistes du calibre de Leon Bridges ou de Vieux Farka Touré ont eu le double avantage de diversifier une musique assez prévisible et d’élargir un auditoire plutôt fermé. Et ça a marché du feu de dieu. Du jour au lendemain, Khruangbin est passé du statut de groupe prometteur à celui de véritable phénomène musical. Sans oublier que le génial Mordechai, sorti en 2020 dans leur configuration trio, avait littéralement cassé la baraque et mis tout le monde d’accord. C’est vous dire combien j’étais impatient d’écouter A La Sala, leur nouvel enregistrement printanier, porteur de tellement d’espoirs, que de déceptions, il ne pouvait en être question. Alors, tout le monde A La Sala (Au Salon en espagnol) ! Tout le monde réuni pour écouter les douze nouveaux titres proposés par la sublime Laura Lee Ochoa, le métronomique Donald « DJ » Johnson Jr et le formidable guitariste Mark Speer. Autant vous l’avouer tout de suite, les premiers instants passés avec la musique un peu trop minimaliste de ce disque, m’ont légèrement déçu. Mordechai, c’était la lumière, la sensualité et les soirées festives qui se terminent à pas d’heure. Ici, l’atmosphère est plutôt celle des lendemains matins mesurés (c’est le groupe qui le dit), du retour aux choses simples et des inévitables interrogations. Les deux pochettes parlent d’elles-mêmes et je pense que c’est volontaire. Conclusion à chaud (déjà ?), A La Sala était le genre d’album que je redoutais d’entendre un jour chez Khruangbin. Seulement voilà, certains mets ne s’apprécient pas forcément au premier coup de fourchette et j’avais tellement été séduit par cette musique à nulle autre pareille, que je ne pouvais en rester là. Notre fameuse rubrique Album de trop ? allait-elle s’enrichir d’un titre supplémentaire ou au contraire, déciderait-elle de ne pas se doter d’un album délicat aux contours subtils et aux aspérités bien présentes, mais cachées ? Il n’y avait que le temps et des écoutes répétées qui pourraient répondre à ce genre de questions.

Pour moi, c’est maintenant chose faite et me voici donc de retour avec un peu plus temps passé à l’écoute de ce disque à part. Une chose est sûre, c’est qu’à chaque fois, j’ai pris mes écouteurs sans rechigner et presque impatient d’aller plus loin dans mon analyse. Alors pourquoi autant de retenue et de frilosité ? Je vais être honnête, il y a sur A La Sala, d’adorables petites touches de plaisir que l’on réécoute toujours avec délectation. « Fifteen Fifty-Three » par exemple, nous envoie dans un premier temps, une frustrante impression de déjà entendu, mais il suffit que vers la fin, survienne un souffle aussi bref que magique pour sortir ce titre de l’anonymat et d’en faire un vrai moment de grâce. Et c’est là toute la difficulté de devoir se positionner par rapport à un ressenti global assez tiède et une réelle attente de ces ondes de félicité posées çà et là. En définitive, je crois avoir cerné le problème. Le fan contrarié devra faire table rase du passé et se focaliser sur la magie d’une formule capable, à chaque instant, de le faire chavirer. Les vocaux susurrés de Laura Lee, en font partie. Lorsqu’elle fait preuve de son habituelle lasciveté sur « May Ninth », il est difficile d’y résister et de ne pas vouloir y revenir sans cesse. Seulement voilà, ces trois minutes semblent bien courtes et posent le problème d’une recette un peu trop facile et qui commence à sentir le réchauffé.

Khruangbin A La Sala Band 1

C’est dur, mais je crois que je vais rester définitivement dans le « oui mais ». Une attitude qui est personnelle, mais que j’aimerais soumettre à vos propres ressentis. Le grand responsable de tout ça s’appelle Steve Christensen, le metteur en son emblématique du groupe, dont le travail très aéré va à l’essentiel, mais sans grandes prises de risque, non plus. L’avenir (la survie ?) de Khruangbin passera peut-être par d’autres visions et d’autres techniques d’enregistrement. Surtout que les idées ne manquent pas et que certains morceaux de A La Sala font preuve d’originalité et de réel pas en avant. J’en veux pour preuve l’ultime « Les Petits Gris », dont la cadence à la Erik Satie, très organique, nous offre un joli moment de recueillement. Un dernier morceau qui se projette vers l’avenir avec tout ce que cela comporte comme source d’espérances. Si je me réfère aux notes du groupe en lien avec ce nouvel enregistrement, il faut certainement aller plus loin que les simples mélodies qui nous sont proposées. La musique de A La Sala est très personnelle et en rapport avec les réflexions et les besoins du moment des musiciens. D’après Mark Speer, les quelques sons de la nature que l’on perçoit sur certains titres, ne sont qu’une volonté d’interconnexions avec les paysages environnants et un ancrage avec ses propres racines américaines. Nous y voilà, je ne pense pas trop m’avancer en disant que cet album a été enregistré pour le groupe et non pour le public. Et de ce fait, je comprends mieux mon manque d’adhésion. La musique est bien trop intime pour correspondre aux attentes de tout un chacun. Moi, ça ne me gêne pas et le fait d’en prendre conscience, permet d’écouter le disque différemment et d’y reconnaître d’autres qualités. À part ça, je ne me suis pas trop étendu sur les morceaux, même si j’ai quelques favoris à sortir du lot comme « Pon Pón » ou « Hold Me Up (Thank You) », deux irrésistibles danses caribéennes qui méritent toute notre attention.

Khruangbin A La Sala Band 2

Alors, album de trop ? Pour les gens de Khruangbin, certainement pas, c’est même carrément l’inverse. Mais pour nous autres, pauvres fans avides de sensations rassurantes et familières, c’est une tout autre histoire. Comme je le disais plus haut, soit on fait table rase du passé et dans ce cas, cette mixture assez bien faite peut trouver une oreille complaisante, soit on s’attache aux souvenirs de Mordechai et consort et alors, A La Sala restera un bel espoir déçu, un album de trop à oublier très vite.

https://www.khruangbin.com/

 

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