Kayak – Seventeen
Inside Out
2018
Kayak – Seventeen
Après avoir remis l’embarcation à flots à l’aube du second millénaire, Kayak démarre 2018 en livrant un copieux opus de prog crossover agrémenté d’un CD bonus comprenant les démos 2016 de quatre titres.
Mais comment ça ! Kayak n’a jamais eu les honneurs de figurer dans les colonnes de C&O ? Il était temps de réparer ça pour un des plus anciens et plus mésestimés groupe de prog en activité. Rendez-vous compte, le groupe hollandais a été créé en 1973. Son prog symphonique classieux, ayant évolué par la suite vers un crossover préfigurant le genre neoprog, a toujours figuré dans l’ombre des Genesis ou autres Yes malgré les pépites que sont See See The Sun, The Last Encore et Phantom Of The Night, ce dernier étant le seul LP à avoir obtenu une reconnaissance dans les charts. Après une éclipse de près de vingt ans, Kayak, mené par l’emblématique Ton Scherpenzeel, est revenu avec bonheur aux affaires, il y a une… vingtaine d’années. Malheureusement les aléas de la vie firent que l’imaginatif et éclectique capitaine finit par se retrouver seul à la barre du Kayak (oui je sais, il n’y a pas de barre à un Kayak mais l’expression me plaisait). Ainsi, si le nom de Kayak a été choisi un peu au hasard à l’origine, il est devenu caractéristique de ce groupe qui, tel le frêle esquif, finit toujours par refaire surface après avoir manqué de sombrer.
C’est toujours avec une certaine circonspection que je pose sur ma platine le CD d’un band emblématique ayant une très longue histoire derrière lui. La peur d’être déçu et de gâcher la représentation nostalgique que j’ai dans la tête d’un groupe qui a bercé ma jeunesse surtout quand il n’a conservé qu’un seul membre originel.
En effet, Ton a été donc obligé de rebattre les cartes de Kayak (les cartes marines bien sûr !) et s’est entouré de l’excellent chanteur Bart Schwertmann et du guitariste Marcel Singor en tant que membres permanents du line-up. Il s’est assuré aussi l’aide ponctuelle du bassiste Kristoffer Gildenlöw (Pain Of Salvation), du batteur Collin Leijenaar (Affector, Neal Morse, Dave Bainbridge) et quelques apparitions du guitariste Andy Latimer (Camel).
Dès la première écoute de Seventeen, mes craintes se sont envolées. Cet album recèle tout ce que j’aime dans le prog mais aussi dans le pop-rock car, eh oui, il fait le grand écart entre ces deux genres avec un réel bonheur. Les deux premiers titres donnent la mesure de l’album puisque l’on passe d’un « Somebody » très direct, léger et entraînant aux douze minutes de « La Peregrina » mêlant les ambiances insouciantes avec d’autres plus dramatiques notamment illustrées par des breaks de chœurs très prenants.
Les trois remarquables titres au côté progressif affirmé (« La Peregrina » « Walk Through Fire » et « Cracks ») sont bien répartis dans la track-list et séparés par des morceaux plus directs. En particulier, on a à peine le temps de reprendre son souffle après le majestueux « Walk Through Fire » et le magnifique instrumental « Ripples On The Water » qui lui succède que Kayak enchaîne quatre courtes plages dont la concision et les refrains confinent à la perfection.
Le chant de Bart ne donne pas dans la performance vocale, ne titillant pas les sommets de la gamme chromatique. En revanche, il recèle une chaleur qui joue à fond sur les ballades (« All That I Want », « Falling »). Celles-ci sont toutes exceptionnelles (donc pas chiantes, ce qui est le principal écueil à éviter lorsqu’on écrit une ballade), y compris dans les nombreux tiroirs des commodes progressives. En particulier, les sonorités à tendance médiévale lui vont comme un gant (« Walk Through Fire », « Love, Sail Away », « X Marks The Spot »). Je ferais le même genre de commentaire sur les parties de guitare, à savoir que si vous cherchez des shreds, ça sera en vain. Marcel Singor, c’est « the right musical note at the right moment ». Les soli et les riffs sont d’une justesse impressionnante (« La Peregrina », « All That I Want », « Cracks », etc.). Ce mec sait s’y prendre pour délivrer les arpèges parfaits pour lancer un titre comme le sympathique et old-school « God On Our Side » ou habiller la superbe ballade instrumentale « Ripples On The Water ». Et ce brave Ton, me direz-vous ? Eh bien, il magnifie ce CD grâce à son talent inné de compositeur hors pair, ne sombrant jamais dans le ridicule ou la grandiloquence. Ses parties de piano sont d’une sensibilité extrême (« Falling », « To An End »). Ses claviers ne sont pas souvent projetés à l’avant du panorama mais constituent plutôt un élément indispensable du décor sans être omniprésents, un peu comme le fait un IQ, par exemple.
Seventeen, c’est bientôt l’âge de la majorité et si Ton Scherpzeel a dépassé cet âge depuis longtemps, il fait preuve d’une maturité, d’une maîtrise et d’une conviction créatrice remarquables, entraînant dans le sillage de son Kayak des marins qui ont parfaitement assimilé cette méthode lui permettant d’éviter de naviguer en eaux troubles.