Juke – Chimeras’ Tale
autoproduction
2014
Juke – Chimeras’ Tale
L’herbe est-elle toujours plus verte ailleurs ? Je crois que Juke vient de me démontrer le contraire. Votre serviteur venant de découvrir ce groupe à l’affiche de La Nuit Du Prog Rock à deux pas de chez lui, a voulu y poser une oreille attentive et là… Bon sang ! je suis passé à côté de ça il y a trois ans. Il est vrai que je ne suis pas un boulimique, dans le style à toujours partir à la chasse de la perle rare ou de la nouveauté en scrutant le net en permanence. Je suis plus dilettante, genre « Venez à moi les petits. », et donc je pioche un peu au petit bonheur la chance au gré de ce qui m’arrive aux esgourdes, souvent par le plus grand des hasards.
Donc, là, je me suis dit « Faut que tu sois un peu moins con demain » et j’ai pris la peine d’aller chercher Juke, là où il se cache… Où il se cachait plutôt car il est en train de renaître de ses cendres.
Petit flashback : Juke voit le jour en 2011 pour sortir l’EP Atom Experiment comportant « Black Magic », une pièce de 28 mn complètement psychédélique et perfusée au Floyd de la grande époque. Encouragés par cette réussite épique initiale, les quatre de Tours enchaînent avec ce Chimeras’ Tale qui m’a bien lessivé les neurones.
Il faut dire que Kévin Toussaint (guitare, chant), Quentin Rousseau (claviers et piano), Théo Ladouce (basse) et Lancelot Carré (batterie), inspirés aussi par King Crimson, Gong ou même des groupes plus récents comme Radiohead et Tame Impala, m’ont renvoyé à mes chères études des origines du prog psychédélique.
Au départ, la volonté de Juke était de sortir un album plus concis et électrique que leur EP. Mais chassez le naturel… Finalement, Chimeras’ Tale est un album concept qui relate le rêve hallucinogène d’un personnage déçu par notre société (« Paperworld, i wish you burn »). Son trip spatial l’emmène sur Neptuna et à partir de ce moment, la musique reproduit toutes les émotions qui le submergent au gré de ses pérégrinations. S’ensuit la rencontre tumultueuse de « Mister Mend », sorte de mentor à la Brad Pitt dans Fight Club jusqu’à un réveil décevant du fait qu’il ne s’agissait que d’un rêve, mais lucide quant à la prise de conscience d’un certain complexe d’Icare chimérique.
Si Juke cite également The Doors dans leurs influences, moi j’y ai plutôt entendu du Camel en particulier sur les deux parties de « Schizarium Odyssey » qui permettent de mesurer les évolutions entre les pensées pré-trip du personnage et celles apaisées que son rêve lui a procurées.
Pour revenir à la volonté initiale de Juke, le très floydien « On The Edge », (comportant notamment un clin d’œil envers Syd Barrett au travers du lyric « By the way, I see Emily play ») recèle les ingrédients vocaux et guitaristiques d’un titre plus direct. « Neptuna », du haut de ses 21 minutes parait prendre la même direction avant de se ramifier en des circonvolutions psychédéliques infinies dans lesquelles, à l’instar du personnage, on explore dans les moindres recoins cette utopie chimérique. La partie plus rythmée de ce titre, déjà joué en concert avant la conception de Chimeras’ Tale, est franchement ébouriffante.
Juke ne déteste pas et même s’enivre carrément d’improvisations (ou s’enivre pour jouer les improvisations ?). Ainsi, le comatique « Mister Mend » est en fait la première version de deux enregistrements live auquel seuls quelques overdubs de percussions, du didgeridoo ainsi que le délirant solo de clavier ont été ajoutés postérieurement. Nos quatre Tourangeaux, bien que surdoués, ne possèdent pas chacun quatre bras. Aussi toute leur imagination musicale débordante ne pouvait être jouée en une prise unique. Sa fin explosive image tout le délire dans lequel « Mister Mend » a emmené notre personnage.
Également, le court et gargouillant « ? » reflète-t-il l’état des entrailles de notre quatuor sous l’influence de substances illicites, lui qui est une version raccourcie d’une autre impro enregistrée au petit matin ? Eh non, il est le prélude tourmenté au réveil post-comatique du personnage du fait de son rendu très glauque par le triton joué au clavier, appelé l’écart du diable au Moyen Âge.
En revanche, la légèreté et le classicisme d’un « Sunset Smile » rééquilibrent parfaitement et acoustiquement Chimeras’ Tale, lui qui reflète le réveil décevant et lucide précité du personnage (« a sweet wind and a soft mist are telling me the last hours of the whole story », « now I get up and realize, it has been nothing but lies »).
Quelques mots pour parler aussi de la jaquette de cet album entièrement peinte à la main par l’artiste Jade Limonet, d’où un visuel beaucoup plus organique et pur que s’il avait été uniquement réalisé numériquement. L’ambitieux livret de départ ne verra pas le jour faute de moyens mais c’est à mon sens un mal pour un bien du fait que tout se concentre finalement sur cette œuvre figurant un arbre électrifié.
Petite originalité conservée, les chiffres qui apparaissent sous les titres en quatrième de couverture de l’album représentent le timing des chansons en secondes.
Après une période cataleptique due à des contraintes géographiques, Juke a donc décidé de remettre le couvert en live et envisage aussi de retourner très bientôt hanter les studios.
Trois ans après sa sortie, j’espère avoir réparé mon silence assourdissant sur Chimeras’ Tale, un album qui s’écoute à l’infini tellement il recèle de trésors cachés. Aussi je prends l’engagement futur de ne pas rater le prochain Juke.
Rudy Zotche
https://jukeband.bandcamp.com/