Jonathan Wilson – Fanfare
Jonathan Wilson
Bella Union
Ecouter Jonathan Wilson, c’est accepter de s’embarquer dans un voyage spatio-temporel. On revient plus de 40 ans en arrière, à l’âge d’or du folk californien et du psychédélisme Anglais. On fonce tête baissée dans des morceaux libres de formes et de durées, et on en ressort avec le sourire. Grateful Dead, Pink Floyd, Neil Young, Crosby Stills & Nash, Dylan, et toutes les gloires de l’époque hantent l’œuvre de Jonathan Wilson, réservoir à bonheur, passionné de musique comme on en fait plus. C’est plus qu’un hommage, Jonathan Wilson est l’héritier de ce son particulier. Et le bonhomme a du goût ! Invité par Roy Harper, autre héros des temps modernes, pour son concert anniversaire de ses 70 ans, c’est lui qui lui a proposé de venir composer et enregistrer dans ses studios, à Laurel Canyon, ce qui allait donner le merveilleux « Man & Myth » et qui a donc su faire revenir Harper de sa retraite irlandaise. Wilson a produit des morceaux de Bonnie « Prince » Billy, folkeux génial. Il a aussi offert ses studios à Midlake, groupe folk dont le chef d’œuvre « The Courage Of Others » est une explosion d’émotions dépressives, et qui du coup à donner l’impulsion à son leader de quitter le groupe et de leur laisser les instruments libres afin de composer « Antiphon », remarquable 4eme opus.
« Fanfare » est la suite logique de « Gentle Spirit », paru en 2011. Wilson avait auparavant œuvré dans un groupe rock peu convaincant et il lui a fallu du temps pour trouver sa voie. Chose faite, et immédiatement catalogué grand rassembleur de la scène folk, Wilson présente un second album gorgé de soleil, de poussière de désert, de rock américain étincelant, de réverbes hallucinatoires et d’harmonies vocales aériennes. L’opus commence en « Fanfare », si j’ose dire, avec une intro qui aurait pu être signé Neal Morse s’il avait fait de la folk ! Epique et symphonique ! La voix moelleuse de Jonathan Wilson nous embarque immédiatement dans un trip enfumé, fait de piano, saxophone, et violon. « Dear Friend » valse comme la caméra de Lelouch autour de ses acteurs avant de soudainement tourner Syd Barrett et de s’embarquer dans une formidable partie instrumentale psyché. « Her Hair Is Growing long », folk 70’s planant par excellence, fait l’effet d’un bon joint et rappelle David Crosby, tandis que « Love To Love » laisse éclater sa pop californienne étincelante. « Future Vison » passe de la folk hypnotique à une partie Supertramp du plus bel effet ! « Moses Pain », classique instantané du bonhomme, rappelle Dylan dans ses meilleures heures, avec une fin addictive.
Nous sommes au milieu de l’album et déjà, l’ensemble est splendide. Mais la seconde partie l’est encore plus. Beaucoup plus ! L’hypnotique et fascinant « Cecil Taylor » convoque les fantômes magnétiques des vents du désert du Nevada, dans une folk admirable, rehaussée par les harmonies des légendes Graham Nash et David Crosby. « Illumination » enchaîne avec un gros riff piqué à Neil Young. Wilson avec d’ailleurs déjà fait le coup sur le premier album ! Ce morceau montre que Wilson est aussi à l’aise avec l’acoustique que l’électrique. « Desert Trip » porte bien son nom, beauté folk, balade magnifique à coups d’harmonies aériennes, qui n’est pas sans rappeler les cousins Foreign Fields, grands magiciens des mélodies qui vous plantent sur place. « Fazon » va sans complexes nous emmener dans le jazz funky, avec une efficacité hallucinante de maîtrise. « New Mexico » aurait très bien pu aller à Roy Harper. Coïncidence ? Il en a écrit les paroles. Un autre grand moment du disque avec une envolée psyché du plus bel effet. « Lovestrong », balade romantique, fonce chez Pink Floyd au bout de deux minutes, et ne cherchera jamais à s’en détacher. Enfin, « All The Way Down », réussit encore à figer l’instant, comme si rien autour n’existait.
Jonathan Wilson peut être catalogué de passéiste, mais aucun musicien actuel n’arrive autant que lui à utiliser le son de l’époque et s’inscrire dans cette mouvance pour la prolonger, et non pas la copier. La créativité de Wilson est immense, et dans ces morceaux qui oscillent entre 4 et 8 minutes, il l’exprime d’une manière fabuleuse. Ce n’est pas pour rien que des gens comme Crosby, Nash, Harper mais aussi Jackson Browne, Josh Tillman, des membres des groupes The Heartbrakers (de Tom Petty), Fleet Foxes et Wilco y participent. C’est folk, psyché, rock, pop, jazzy, progressif à certains moments, « Fanfare » est un concentré de pure musique, joué par un artiste qui a déjà une aura culte.
Fred Natuzzi (9/10)