Joe Jackson – Fool
earMusic
2019
Thierry Folcher
Joe Jackson – Fool
Comme beaucoup j’ai eu ma période Joe Jackson, commencée pour moi en 1982 avec Night And Day et terminée en 1994 avec Night Music. A la fin des années 70, je faisais partie de ces pauvres admirateurs et consommateurs de musiques progressives désormais bannies des ondes et des magazines. Il a bien fallu s’adapter et regarder ailleurs avec cette douloureuse impression que la qualité musicale allait descendre d’un cran. Cette espèce d’ouragan punk et new-wave plus ou moins fabriqué par des promoteurs peu soucieux du résultat artistique allait avoir un effet dévastateur sur la scène musicale et contraindre même certaines formations à prendre des directions contre-nature peu glorieuses. Ce grand chaos a malgré tout révélé de nouveaux talents qui ont pu conquérir un vaste audimat varié et exigeant. Un jeune « Tintin » britannique de 25 ans va débouler en 1979 avec un album (Look Sharp!) taillé sur mesure pour affronter le public et les médias. De courts morceaux énergiques et sans fioritures portés par une voix claire et déterminée vont faire de ce premier album un excellent tremplin pour la carrière de Joe Jackson. Le succès est là et les disques vont s’enchaîner jusqu’au fameux Night And Day de 1982 qui va rapidement squatter les premières places des charts. La musique a bien changé, elle s’est colorée d’influences latines et affiche sans honte le savoir faire d’un ancien élève de la Royal Academy of Music de Londres. Car notre vrai/faux punk sait jouer et composer de la musique. Son style ultra mélodieux à la fois caressant et rythmé va vite devenir un rendez-vous incontournable pour les orphelins de la musique bien écrite dont je faisais partie.
J’ai donc suivi fidèlement l’ami Jackson jusqu’au très classique (au sens musical du terme) Night Music de 1994 avant que de longues années d’absence, entrecoupées de projets aventureux, deviennent fatales à mon engouement pour le bonhomme. Nous voilà donc en 2019 avec ce nouvel opus, Fool, qui débarque sur les ondes et me rappelle au bon souvenir de cet artiste vraiment atypique. C’est à la fois curieux et un brin nostalgique que je reprends contact avec son monde où le rock côtoie le jazz, la soul music, les rythmes latinos et parfois même le baroque. Un cocktail déjà bien présent sur son album précédant le remarquable Fast Forward de 2015…et que j’ai complètement zappé. Mais avec Fool on a trois bonnes raisons pour ne pas répéter la même erreur. Premièrement parce que ce vingtième album signe les quarante ans de carrière de Joe Jackson, deuxièmement car il résume à lui seul toute sa palette créative, et enfin troisièmement, car c’est un petit bijou superbement ciselé et terriblement accrocheur. De l’avis même de son auteur, Fool à été pensé à la manière des disques vinyles avec deux faces de vingt minutes comprenant chacune quatre morceaux. Cet agencement nous renvoie vers une époque où il y avait toujours une distinction et parfois même une préférence pour la face A ou la face B. Sachant cela, on voit bien que la construction mise en place donne à « Friend Better » le rôle d’apporter un second souffle au reste du disque (cette chronique sera donc en configuration vinyle). Par ailleurs Joe Jackson nous explique qu’il a voulu passer sans interruption de la scène au studio pour conserver l’énergie de la tournée. C’est donc un groupe ultra rodé, composé des fidèles Graham Maby à la basse, Teddy Kumpel à la guitare et Doug Yowell à la batterie, qui va enregistrer l’album au Tonic Room Studios de Boise dans l’Idaho, lieu de la dernière date de la tournée américaine.
La pochette de Fool parle d’elle-même. C’est le théâtre tragi-comique de nos vies avec son lot de douleurs et de joies qui a inspiré Joe Jackson sur ces huit chansons. Sur son titre « Fool », il veut même nous faire comprendre que l’humour est capital et surtout indestructible. Côté musique, l’embellie entrevue sur Fast Forward va-t-elle se répéter ? Dés les premières notes de « Big Black Cloud » me revoilà en terrain connu et vite rassuré. Je me retrouve dans un endroit familier et chargé de bons souvenirs. La voix a bien sûr un peu moins d’éclat mais le phrasé traînant et légèrement nasillard est bien présent. Le morceau est idéal pour débuter un concert avec son tempo saccadé, ses backings très pop et son discours plus scandé que chanté. Attention « Fabulously Absolute », le titre suivant, nous renvoie directement en 1979 à l’époque de Look Sharp ! et de son rock débridé et rentre dedans. Juste un petit synthé et quelques accords de piano viennent nous rappeler que le punk pouvait très bien inclure ces instruments honnis. Ensuite, la ritournelle entêtante de « Dave » remplit merveilleusement son rôle de mini tube à la Beatles. On se surprend rapidement à fredonner la mélodie, signe que la mayonnaise a bien pris. Nous voilà déjà à la fin de la première face avec « Strange Land », un des grands moments du disque. Joe Jackson, dans un registre crooner de jazz, nous envoûte avec cette très belle chanson parfaitement mise en place. Le piano est splendide, à la fois rythmique et mélodieux et la voix d’une beauté renversante.
Démarrage en trombe de la face B avec « Friend Better » dans un style très rock FM US. La production est impeccable et l’énergie déployée remet le bolide Jackson en mouvement. Une deuxième face encore plus accrocheuse que la première, à tel point que rien n’empêche évidemment de commencer par elle. « Fool » continue sur le même rythme dans une sorte de mix improbable où l’on va passer allègrement d’un chant celte à des rythmes orientaux puis partir sur les traces de Night And Day et ses accents de salsa. Incroyable comme cet assemblage à priori casse gueule tient la route. Certainement la prouesse musicale de l’album. A signaler la performance exceptionnelle de Graham Maby à la basse sur ce morceau mais aussi sur tout le disque. Avec « 32 Kisses » le tempo descend d’un cran et nous amène vers une autre facette de l’écriture de Joe Jackson. Même si ce titre est d’une forme assez classique, ces 32 baisers vont laisser entrevoir, sur deux vers seulement, le côté « pompeux » de son auteur. Ce discret hommage à une période plus aventureuse de sa carrière où il a complètement rejeté toutes facilités et compromis commerciaux devait être présent ici, même de façon homéopathique. Enfin « Alchemy » va clore avec classe une partition de grande qualité. On retrouve sur ce morceau une musique intemporelle, accessible et envoûtante, traversée par un solo de guitare tout simple mais terriblement efficace. Le piano de Joe Jackson est le dernier à intervenir comme pour ne pas oublier qu’il est aussi un excellent musicien.
Voilà, à titre personnel ce fut un retour revigorant sur des chemins souvent empruntés mais malheureusement trop longtemps oubliés. Ce retour à la lumière de Joe Jackson va certainement en ravir plus d’un et pourquoi pas relancer sa carrière. Le personnage semble en pleine forme et complètement libéré de ses tourments passés. Son besoin de retrouver l’écriture simple et directe, typique de ses débuts est assurément un bon signe. Fool est un très bon album, varié et sans prétention avec des chansons qui ont de grandes chances de vous accompagner pendant de longs moments.
Je suis étonné qu’un chroniqueur de disque puisse dire que la musique progressive a disparue et qu’il a fallu s’adapter !
La scène progressive n’a jamais été aussi productive. Alors que Les anciens groupes sont toujours là (Kansas, Steeve Hacket, Fish, au hasard) il y a les nouveaux qui cartonnent.
Dans un autres registre Joe Jacjson est toujours là également.
Il y a un malentendu ou un mal compris. Je parle de la situation à la fin des années 70 (que j’ai vécu) qui a carrément vu le bannissement d’une certaine forme de musique au profit de choses plus directes (punk) ou commerciales (disco). Et après une longue traversée du désert, c’est vrai que le prog se porte plutôt bien avec du bon et du moins bon.