Joe Hisaishi – A Symphonic Celebration – Music From The Studio Ghibli
Deutsche Grammophon
2023
Thierry Folcher
Joe Hisaishi – A Symphonic Celebration – Music From The Studio Ghibli
La Deutsche Grammophon chez Clair et Obscur, ce n’est pas fréquent, mais pas déplacé non plus. Il faut reconnaître que cette célèbre société d’édition de musiques classiques a bien élargi son catalogue en accueillant, entre autres, certaines œuvres d’Agnès Obel, Sting, Brian Eno, Moby ou encore Vangelis. Aujourd’hui, c’est l’immense Joe Hisaishi qui a la faveur de voir la sémillante étiquette jaune s’afficher sur A Symphonic Celebration – Music From The Studio Ghibli, un réenregistrement symphonique de ses plus beaux morceaux illustrant les films d’animation de l’équipe d’Hayao Miyazaki. Il est bon de rappeler que le Studio Ghibli est une véritable institution au Japon avec la production de chefs-d’œuvre qui ont largement parcouru le monde et rencontré un immense succès, bien au-delà de l’archipel nippon. Le fait d’avoir signé chez Deutsche Grammophon est une véritable consécration pour Joe Hisaishi qui se considère comme un chef classique à part entière et voue totalement son art à ces musiques dites nobles et savantes. Cela dit, à l’instar d’un Hans Zimmer ou d’un John Williams, ses compositions relèvent plus des chatoiements de l’univers cinématographique que des partitions purement classiques. Qu’importe, le résultat est là, et si certains puristes trouvent à redire, c’est faire preuve d’une vilaine rigidité ou d’un manque certain d’ouverture. Vous savez, sans chercher l’affrontement, je n’hésite pas une seconde pour dire que le thème principal du Château Ambulant vaut amplement la « Valse n°2 » de Chostakovitch. Voilà, c’est dit. Maintenant, est-il nécessaire de connaître par cœur les dessins animés de Miyazaki pour vraiment apprécier ce disque ? Je n’ai pas d’avis tranché sur la question mais il est évident que les familiers de Nausicaä ou de Princess Mononoke vont ressentir de sacrées émotions en écoutant ces réenregistrements d’une qualité et d’une interprétation absolument phénoménales. Et puis, pour tous les mélomanes qui seraient passés à côté de ce monde féerique du septième art, il reste des compositions d’une beauté rare et d’une exceptionnelle facilité d’accès.
L’album a été enregistré à Londres avec le Royal Philarmonic Orchestra conduit par Joe Hisaichi lui-même pour un résultat en tout point… royal. Le souffle que dégagent ces nouvelles symphonies est sans pitié pour les versions originales qui ne devront leur salut qu’à notre bienveillante nostalgie et au profond respect que l’on doit au travail de l’époque. C’est à partir de ce constat que les images vont s’estomper au profit d’une musique devenue bien trop grande pour l’intimité de films d’un autre temps. Ce travail de réécriture, de restauration, de lustrage, d’enjolivement, appelez ça comme vous voulez, m’a complètement scotché et fait redécouvrir des titres d’une richesse incroyable. Dès les premières notes de « Nausicaä Of The Valley Of The Wind », l’auditeur averti ne peut que mesurer l’écart entre l’enregistrement de 1984 et ces dix minutes de folie, de faste et de solennité. Cette suite symphonique va réunir tout ce dont l’univers de Joe Hisaishi est capable de produire et de mettre en scène. Des percussions martiales en forme d’introduction, une petite ligne de piano en guise de friandise et puis, une mélodie à tomber par terre, fissurant n’importe quelle cuirasse endurcie. The Bach Choir et The Tiffin Choirs vont, quant à eux, faire gravir un échelon supplémentaire à cette partition d’une richesse remarquable. Au risque de me répéter, ce n’est pas la musique, bien connue, qui interpelle, mais plutôt la façon dont elle est magnifiée et modernisée. Cette entrée coup de poing laisse présager de futures belles aventures sur les 80 minutes que compte ce disque sans ennui ni temps morts. A chaque instant, on se rend bien compte de l’extrême justesse des climats et des atmosphères porteuses de sensations tour à tour guillerettes (« Kiki’s Delevery Service »), torturées (« Princess Mononoke ») ou magiques (« Howl’s Moving Castle »). Il s’agit bien là d’illustrations cinématographiques, cependant loin, très loin de toutes connotations péjoratives. Il serait peut-être temps de mettre certaines œuvres et certains compositeurs du septième Art au niveau des plus grands et intouchables monuments de la musique classique. Je me plais même à penser que les Wagner, Chopin, Dvorák ou Moussorgski n’auraient pas craché dans la soupe et seraient devenus, eux aussi, des accros de la Bande Originale.
Mais revenons à notre ami Hisaichi qui s’emploie sur ce disque à rendre son travail d’une grande attractivité. La poignante mélodie de « Princess Mononoke » nous fait venir les larmes aux yeux et nous arrache instantanément à tout ce qui nous entoure. Ensuite, les éléments se déchaînent et balayent l’espace jusqu’à ce que la soprano Grace Davidson ramène la sérénité avec son chant, merveilleux de justesse. C’est pas très long, mais alors quelle efficacité et quel talent ! Les artistes présents sont tous au diapason de la musique en tant qu’invités de luxe, supports indispensables et fabuleux virtuoses. Le violon de Stephen Morris sur « Kiki’s Delevery Service » et la mandoline d’Avi Avital sur « The Wind Rises » font partie des grands moments à déguster sans modération. Et puis, dans le grand catalogue Miyazaki, on a tous nos préférences. Pour ma part, je citerais toujours Le Château Ambulant comme étant l’œuvre la plus rayonnante du studio Ghibli. Je sais, cela n’engage que moi et chacun aura certainement sa propre vision et son propre choix. Pour moi, la pochette laissée libre de toute indication précise répond habilement à cet éternel débat sans fin. Sur l’album, « Howl’s Moving Castle » fait écho de façon tonitruante à mes attentes. La fameuse valse à laquelle je faisais allusion au début éclate ici dans toute sa splendeur et toute sa brillance. Inutile de vous dire dans quel état de transe et de recueillement, j’ai reçu ces ondes bienfaitrices où la magie du moment et les souvenirs anciens s’entrechoquent pour ne former qu’une seule et admirable symphonie. À noter que le titre « Merry-Go-Round Of Life » sur le deuxième CD (Deluxe Edition) remet quelques notes du Château Ambulant au côté de « One Summer’s Day (The Name Of Life) », le tube du Voyage De Chihiro, pour un plaisir éphémère (seulement 7 minutes au total) mais ô combien jouissif. Pour faire bref, car la matière première ne manque pas, je finirai par « My Neighbor Totoro » qui clôt de façon spectaculaire et endiablée ce magnifique album. Il y a sur cet enchaînement de thèmes une débauche d’ondes positives qui amène le sourire et forme peut-être la meilleure conclusion au travail de ce génie de la composition. Totoro est un emblème qui colle parfaitement à l’univers féerique et onirique de Miyazaki et pour lequel Hisaishi a su mettre ses plus belles ornementations. J’ai laissé volontairement pas mal de choses de côté car on pouvait y passer la nuit à tout décortiquer. A vous donc de découvrir plus en détail ce merveilleux recueil revu, mais pas corrigé des plus belles compositions de Joe Hisaishi.
Les notes de la pochette rappellent les grands couples du cinéma que sont (ou qu’ont été) Spielberg et Williams, Zemeckis et Silvestri, Burton et Elfman, Hitchock et Herrmann, Fellini et Rota pour y inclure, de façon évidente, Hayao Miyazaki et Joe Hisaishi, une paire aussi indissociable que complémentaire. A Symphonic Celebration – Music From The Studio Ghibli donne la priorité à la musique, mais je suis persuadé que les scénarios du pape de l’animation japonaise ont forcément modelé les thèmes et les chansons d’une partition musicale qu’il nous est permis de déguster aujourd’hui dans son nouvel écrin, plus rutilant que jamais. Un album à ne pas manquer pour les affamés du Studio Ghibli et en règle générale, pour tous les amateurs de musiques aux émotions permanentes et garanties.