JeF – Mental Bazar Électrique : Grâce
Autoproduction
2017
JeF sort enfin le troisième opus de sa trilogie Mental Bazar Électrique entamée en 2009, cette fois-ci intitulé Grâce. À l’écoute de cette fournée, JeF l’a peut-être trouvée. Les deux précédents efforts étaient assez sombres, torturés, proposaient des paysages rock poétiques electro ardus mais riches. Quelques écoutes étaient nécessaires pour tenter d’apprivoiser les envolées de JeF et rentrer pleinement dans son monde. Pour ce nouvel épisode, les morceaux ouvrent son univers vers la clarté, proposant un rock toujours aussi poétique mais avec des guitares étincelantes et des sons beaucoup plus chauds. Toujours aidé par le fidèle Monsieur Copain aux textes (et qui sort très bientôt un superbe EP Ad Libertaire, j’aurai l’occasion d’en reparler), JeF s’entoure également de Marie O, Loui Beaulieu et Philippe Pottier pour peaufiner ses chansons. Et il a bien raison, chaque texte est travaillé, ciselé, à la manière d’un Thiéfaine par exemple. L’ombre de ce géant français plane très souvent sur le disque non seulement dans les textes mais aussi dans une certaine manière de chanter. C’est là le bémol que je mettrais à Grâce : on pense trop à ces artistes emblématiques, Thiéfaine mais aussi Bashung ou Lavilliers (voix grave à l’appui !). Cependant, lorsque JeF quitte ces influences et s’aventure là où l’on ne l’avait pas entendu, le disque prend une autre ampleur, surprend, et convainc. Musicalement, la diversité est de mise et on ne peut qu’applaudir aux différents solos de guitare qui jalonnent le disque.
« À Deux Pas Du Seuil » ouvre l’album avec une chanson rock aux faux airs de Bashung. Déjà un très beau jeu de guitare qui annonce la couleur ! Une bonne entrée en matière avant « L’Onyx », exercice de style au texte thiéfainien en diable, écrit comme un cadavre exquis avec son compère Copain. Un style americana nous emmène « À Tire D’Elle » où l’ombre de Thiéfaine plane encore. Une chanson réussie avec une guitare reluisante et réjouissante. Avec « Des Îles », intimiste et atmosphérique, JeF chante d’une manière plus feutrée, de sa belle voix grave. Les influences tombent et révèlent un artiste avec une identité plus marquée, et donc encore plus intéressant. Splendide. « Les Hommes Que J’aime » étonne car là aussi, on s’éloigne de la familiarité qui émanait des maîtres précédemment cités. On peut faire un parallèle ici avec Feu ! Chatterton sans théâtralité excessive. Et encore cette guitare magnifique !
« Des Étoiles Sous La Pluie », seul titre au piano, fascine, avec une facilité à créer une atmosphère qui suspend le temps. Un peu à la Sheller quoi ! Très beau. « Je Tarirai Le Doute » captive également par son très beau texte, et sa rythmique prenante. Très beau solo de guitare encore une fois qui rappellerait presque Marillion ! « À L’Ombre De Nos Regards » enveloppé de sons electro, laisse parler la guitare pour un titre dynamique plaisant. Avec « Je Suis Beau », on retombe dans un trip intimiste atmosphérique vraiment bon. Le chant de JeF révèle toutes les subtilités dont il est capable. Et je dois avouer que cette retenue me plaît bien. « Laménu », c’est peut-être le titre le plus surprenant avec son riff à la… Porcupine Tree ! Un morceau un brin expérimental, bien construit avec des strates instrumentales bien senties. « Crépuscule En Sol Mineur » montre encore une nouvelle voix pour JeF, qui vraiment me convainc encore plus lorsqu’il se fait plus fragile. Une guitare enjôleuse, un mood assez cool, on se laisse volontiers aller dans cette chanson, rappelant un peu les années 80. Enfin, « La Vie En Virage » finit avec un jeu de voix où JeF va au plus grave qu’il peut. Moins convaincant je l’avoue, mais intéressant dans l’exercice.
Finalement, on dirait que Grâce est construit comme un lâcher-prise progressif : plus on avance dans l’album, plus les ombres des influences un brin encombrantes se dissipent pour faire place à un véritable artiste avec sa patte. Ce troisième opus plus lumineux a tout pour se faire remarquer et accrocher les plus curieux qui auront fait l’effort d’écouter. Comme on dit, y’a plus qu’à !
Fred Natuzzi